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Gestion du risque et fatalité
Posté en tant qu’invité par Guidevétéran:
[quote=« Samourai, id: 888841, post:21, topic:87952 »]Par contre, ce qui m’interpelle, c’est que je ne pense pas que tous ceux qui font de telles courses, en particulier la voie normale du Tacul, soient réellement au courant des dangers objectifs présents à ce genre d’endroit. Le fait que ce parcours soit si fréquenté, notamment par des guides, doit offrir à certains un fallacieux sentiment de sécurité.
Et puis, si un novice, apparemment bien sportif, se présente au bureau des guides de Chamonix en demandant un guide pour le conduire au sommet d’un 4000, où croyez-vous qu’ils vont l’envoyer ? La voie normale du Tacul n’est-elle pas un itinéraire des plus rentables, tant pour le guide que pour le téléphérique ? Un tel client est-il vraiment au courant des dangers objectifs liés à ce parcours ? A-t-il vraiment choisi ? A-t-il tort de faire confiance à son guide ?
Il me plairait de lire la réaction d’un guide qui emmène des débutants dans ce genre d’endroit.[/quote]
Je suis guide. Lorsque « j’emmène des débutants ou des confirmés dans ce genre d’endroit » (je te cite), je leur expose clairement la situation, les dangers et je leur demande s’ils sont d’accord d’accepter ce risque que j’accepte pour moi-même. En cas d’accord, on y va; dans le cas contraire on choisit une autre course.
Modération : mise en forme de la citation.
[quote=« Hugues725, id: 888831, post:40, topic:88098 »]En montagne, il y a souvent beaucoup de dangers objectifs qu’on ne peut que limiter (en respectant des horaires matinaux, en s’encordant, en mettant un casque,…) mais jamais totalement supprimer, sauf à rester chez soi.
On peut très bien aussi être victimes de l’erreur d’une cordée au-dessus de la sienne dans un passage un peu délicat ou exposé qui déclenche par mégarde une avalanche ou une chute de pierre.[/quote]
Je ne vois pas la différence.
On peut éliminer totalement certains risques, et d’autres seulement les limiter.
Mais de toute façon, on ne s’expose pas à 1 risque, mais à un ensemble de risques, comprenant obligatoirement des risques seulement limitables.
Donc le risque globale est toujours que limitable. C’est bien pour ça qu’on dit que le risque 0 n’existe pas.
Une fois que l’on a accepté que le risque 0 n’existait pas, on ne cherche plus à éliminer les risques, mais à les limiter sous un seuil de risque acceptable.
Dès lors, il n’y a plus de différence entre les risque éliminables et les risques limitables. On peut tout gérer de la même façon, et même ne plus chercher à éliminer les risque éliminables, mais seulement les limiter, ça simplifie sans prendre trop de risque pour autant.
Le risque de chute de pierre par les cordée d’au-dessus, ça se gère, comme le reste. Par exemple, si on a le choix entre la descente facile par un couloir rocheux ou plus difficile par un éperon :
- soit on sait qu’il y a plein de cordées qui vont descendre ou passer au dessus (on était avec elles au refuge par exemple), dans ce cas on peut assez bien évaluer le risque,
- soit on n’en sait rien, mais selon la période de l’année et la fréquentation moyenne des voies, on peut évaluer la fréquentation du jour, et ensuite évaluer le risque.
Bien sûr dans le 2ème cas la marge d’erreur est plus grande, mais c’est souvent mieux que rien. Et de toute façon, lorsqu’on ne sait rien, ça équivaut à mettre un risque maximale pour le risque considéré. Ici par exemple, on choisirait de descendre par l’éperon.
Ce type de raisonnement n’est pas ce qui est fait le plus souvent. Le plus souvent, si on a l’impression qu’il n’y a personne mais qu’on ne sait rien de la fréquentation du jour, on mettra un risque minimal pour les chutes de pierres d’autres cordées, et on descendra par le couloir… et ça passe, 1 fois, 10 fois, et à la 20ème fois, bam !
Alors qu’en évaluant correctement le risque (pas d’info sur la fréquentation => risque maximale), ça se voyait dès la 1ère fois qu’on prenait un risque supérieur au risque acceptable.
Posté en tant qu’invité par elliot:
je cite guidevétéran:« lorsque j’emmène des débutants ou des confirmés ds ce genre d’endroit » - à hts risques-,je leur expose clairement la situation,les dangers et je leur demande s’ils sont d’accord d’accepter ce risque que j’accepte pour moi-même.En cas d’d’accord,on y va; ds le cas contraire,on choisit 1 autre course."
Cette façon de procéder m’inspire bcp de respect car c’est transparent,clair pour les 2 parties: le client qui se décide en connaissance de cause et pas seulement sur le prestige,le niveau de la course et le guide qui fait son travail de manière consciencieuse et responsable -quitte à « perdre de l’argent en proposant une autre course ». Respect mr le guide. bonnes courses elliot
Posté en tant qu’invité par Hugues725:
:rolleyes:
J’avais déjà remarqué dans tes posts que tu étais capable de prévoir tout plein de choses, même l’imprévisible…
Seulement tout le monde n’a pas tes dons de visionnaire: moi avec quelques amis, quand on s’est engagés à skis dans la descente du couloir de pépin (face nord du dome des pichères en vanoise) il y a 3 ans avec un risque 1 annoncé par le bulletion nivo de MF, on était seuls sur cette montagne. On ne pouvait pas prévoir que des gusses arrivés par le téléphérique de bellecote complété par un peu de podefok allaient se pointer derrière nous sans qu’on les ait vus arriver et nous balancer un coulée de neige du haut du couloir alors qu’on en était pas encore sortis (et que nous avions soigneusement pris nos précautions pour ne pas déclencher de coulée).
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Posté en tant qu’invité par la baltringue:
[quote=« Samourai, id: 888918, post:26, topic:87952 »]
Merci, Guidevétéran, pour ta réponse.
Une telle transparence avec ta clientèle est tout à ton honneur !
Cette attitude qui est la tienne est-elle la norme dans ton métier ?
Excuse-moi d’insister mais voudrais-tu, s’il te plaît, clarifier un point : comment « exposes-tu clairement » les dangers liés à une course, par exemple la voie normale du Tacul ?
- Dis-tu, par exemple, qu’il y a un certain risque de chute de séracs ?
- Dis-tu, par exemple, qu’il y a eu l’été passé huit morts sur cette course et que ce n’était pas, loin s’en faut, la première fois ?
- Dis-tu, par exemple, que quand un immeuble de glace te tombe dessus c’est la mort presque assurée ?[/quote]
C’est quoi ce procès pourri des guides ?? genre ils sont près à tout pour gagner du fric. Ne sont ils pas les premieres victimes en cas d’accident ? quand aux clients, ce sont tout sauf des débiles et incultes et ils savent très bien qu’il y a des risques en montagne.
à t’écouter on a l’impression que les clients sont de gentils naifs qui pensent faire une ballade de papys et que de méchants guides emmenent dans un traquenard :rolleyes: :rolleyes:
Bon ben désormais, comme je l’ai dit, tu sais que même si tu as l’impression d’être seul sur une montagne, ce n’est pas sûr, donc dans ton évaluation du risque, tu augmentes la valeur du risque de coulée dû à un autre groupe.
Comment aurais-tu pu mieux évaluer le risque ce jour là ?
Et bien simplement en évaluant la marge d’erreur de ton évaluation de risque de coulée due à un autre groupe.
Comment faire ? Et bien en premier, simplement des stats : tu fais le bilan de toutes tes évaluations de ce genre de risque, et tu regardes la proportion de fois où tu t’es trompé.
Combien de fois avais-tu déjà évalué un tel risque sérieusement auparavant ? 2, 3, 5, 10 fois ? Même si tu ne t’es jamais trompé, c’est insuffisant pour avoir une faible marge d’erreur. Donc on a une marge d’erreur importante.
Du coup, quelle est la valeur maximale du risque en tenant compte de la marge d’erreur ? Si cette valeur dépasse ton risque acceptable, ben faut pas y aller, ou y aller en acceptant de s’exposer à un risque hors limite.
Et oui tous les risques se gèrent : la difficulté pour évaluer un risque est un risque en soi, donc on retombe sur de la gestion de risque, donc on sait faire, donc il n’y a pas de fatalité.
Par ailleurs, je ne revendique aucun don de visionnaire.
Savoir gérer les risques n’empêche pas les accidents : on a toujours la liberté de ne pas utiliser ces méthodes de gestion de risque. C’est ce que j’ai fait lors des 2 accidents que j’ai subi : je savais que d’aller à tel endroit était dangereux à plus de 50% (et même plus), mais j’ai volontairement pas tenu compte de mes propres alertes. Comme prévu, ya eu un accident, ça marche bien.
Evaluer un risque ne l’a jamais supprimé. On évalue et on accepte ou on n’accepte pas. Mais si on accepte, il ne faut pas venir pleurnicher, en cas de pépin, que c’est « la fatalité ».
T’énerve pas! Samouraï demande des précisions, c’est tout!
Posté en tant qu’invité par Hugues725:
Ca frise l’enculage de mouches ta théorie :lol:
C’est un peu ce que je disais :lol:
Mais je te rappelle que je soulignais le fait que les victimes d’un accident n’étaient pas toujours responsables de ce qui leur était arrivé contrairement à ce que disait Dani. Je te confirme que les responsables de l’accident dont je t’ai parlé sont les gusses qui ont déclenché la coulée au-dessus de nous et pas les 2 personnes de mon groupe qui se sont retrouvées à l’hosto. Ca j’en suis sûr et sans les gusses du haut du couloir tout ce serait bien passé
Non, c’est carrément de la sodomisation de diptère (et de bien d’autres bêbête-à-ptères), et j’assume
Oui en effet, dans ce cas les victimes ne sont pas responsables légalement. Mais ça n’empêche pas qu’elles puissent prendre des précautions face à ce risque. La responsabilité réelle est répartie entre ceux qui déclenchent la coulée (pour le plus grande partie) et ceux qui n’ont pas su prévoir que qqun pouvait passer au-dessus.
Comme exemple, tu peux lire cette discussion
C’est difficile de prévoir la fréquentation par d’autres personnes et leur comportement. Bien plus que les séracs, avalanche et chutes de pierres. C’est bien pour ça que pour moi, le risque le plus important est la présence d’autres personnes ou animaux : j’arrive à réduire suffisamment tous les autres risques, et il ne reste que celui-là qui dépasse.
Même quand on sait qu’il n’y a personne, il reste les animaux. Et parmi les animaux qui peuvent agir avec des conséquences néfastes, le plus imprévisible est le lapin en hiver.
On retombe bien sur la conclusion que le plus grand risque en montagne, c’est le lapin.
et les principales victimes?
[quote=« ChristopheH, id: 888728, post:16, topic:87952 »]Il ne faut pas opposer les 2 approches. Elles me semblent complémentaires.
L’approche industrielle a pour objectif d’éviter que cela se reproduise car un accident coute du temps et de l’argent. C’est effectivement différent de l’approche judiciaire dont l’objectif est la sanction d’un non respect d’un règlement et la réparation des dommages causés à la victime.[/quote]
j’ai beaucoup pratiqué professionnellement l’approche judiciaire et j’en suis de moins en moins convaincu, d’autant qu’en France elle passe presque inévitablement par la stigmatisation du pénal. Sauf lorsque il y a un règlement précis, par exemple pour les mineurs sur la neige ou en montagne estivale, ou les normes du matériel. Ou pour les pros qui emmèneraient des gens sans PSA ni moyen d’alerte.
Autrement le jugement est trop souvent anachronique et fondé sur la pseudo tautologie « il y a eu un accident donc il y a eu une faute, car c’est pas normal ». On a même vu un inénarrable conseiller à la cour de cassation écrire que « tomber en escalade est nécessairement une faute » pour donner raison à un gugusse qui stationnait à Bleau sous un autre grimpeur en train d’essayer un pas dur et qui se l’était évidemment pris sur la tronche.
Abandonner l’appréciation de la faute au bon sens du juge me parait bien risqué en dehors de petites choses évidentes : devoirs du guide envers ses clients, solidarité de cordée, attention à ce qu’on envoie sur les gens en dessous de soi. Encore que ceux-ci n’auraient peut-être aussi parfois qu’à aller voir ailleurs si la voie est prise, mais qui dira ça aux cordées qui se suivent dans les grandes classiques …
Bref, en dehors de textes ou de principes clairs unanimement validés par la communauté alpiniste et montagnarde, la justice peut être aussi aléatoire qu’un pont de neige vers midi, et mieux vaut ne pas s’y risquer
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très bien je suis heureux de m’etre trompé
merci, desole pour les accents mais avec un clavier US c’est vraiment trop penible …
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[quote=« Francois de Paris, id: 888806, post:17, topic:87952 »]Cette discussion me rappelle un message que j’avais laissé sur un autre sujet il y a un an:
Par ailleurs, et quant à l’intérêt de l’analyse des causes a posteriori, il semblerait que les structures alpinistes nord américaines publient chaque année un document relatant dans le détail les accidents en montagne et leurs causes probables. Il me semble que ce travail, cette capitalisation du savoir, très loin du voyeurisme et par ailleurs également appliqué dans l’analyse des accidents aériens (BEA), est une source d’informations importantes pour les alpinistes que nous sommes.
…[/quote]
En France c’est aussi ce que font les spéléos!!!
On a un rapport annuel des accidents et on essaye d’en tirer les leçons.
Posté en tant qu’invité par naiiphe:
La fatalité, le hasard, bien souvent ses mots ne sont employés que pour éviter un autre, qu’on ose écrire: ERREUR.
La montagne n’est pas un espace terrestre hors de la raison. Là-haut comme ailleurs l’erreur ou l’incompétence est sanctionné. Pardon, plus que nul part ailleurs, devrais-je dire. Et cette triste réalité, nombreux sont ceux qui voudrait l’écarter à l’aide de quelques pseudo refrains romantiques. N’oublions jamais les mots d’Heckmair, « un bon alpiniste est un vieil alpiniste ». L’erreur est humaine est si elle doit avoir une raison, c’est celle de nous former. Voilà donc l’importance dans le cadre des divers accidents de connaitre et d’établir la réalité des faits, par pour savoir, mais pour ne plus les reproduire. Mieux comprendre la montagne c’est notre passion et notre recherche, et cela passe par une transparence informative. La montagne a bon dos, cependant a tout lui faire porter, nous finissons par la dénaturer et s’en éloigner.