Posté en tant qu’invité par claudio:
La passion a bon dos…
Moi aussi, je veux grimper. Et d’ailleurs je le fais - tout le monde ne peut pas en dire autant (cf. message précédent sur quelques évidences concernant l’accès des plus démunis, d’un point de vue financier ou culturel, aux sports de montagne)
Au risque de ressasser, voire de lasser, (et parce que je crois que ça en vaut la peine, y compris pour la montagne) je continuerai donc à contester la position non seulement individualiste, mais naïve d’Alex et « Jeveuxgrimper ».
Je partage l’idéal que vous défendez, et suis d’accord avec le jugement de « Brododoblom », à savoir que l’être humain, par la pratique de certaines activités, aspire à renouer avec certaines valeurs que la vie en société pourrait tendre à faire oublier. Les sports de montagne font partie de ces activités. Mais il y a une chose qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que la « montagne » comme objet de rêverie, de désir, de conquête, de fantasmes (et d’outrages) est un phénomène récent, historiquement et culturellement hyper-codifié. Le goût pour les hauteurs est un produit de l’époque moderne (au sens large, c’est-à-dire à partir du 16è siècle en Europe), typiquement occidental dans sa forme (même si, comme d’autres pans de la culture, il s’est « mondialisé » depuis), et qui connaît une véritable explosion à partir du 19è siècle, caractérisé par l’avènement des valeurs romantiques (liberté, « passion », justement - cf. la musique de l’époque, par ex. l’AlpenSymphonie de R. Strauss -, et… nationalisme). Tout cela pour dire que les valeurs que vous mettez en avant pour justifier une pratique totalement désintéressée et pure de la montagne ne sortent pas de nulle part. Elles sont plus que légitimes, et personnellement j’y adhère en grande partie (j’exclus le nationalisme, mais ce n’est pas difficile : ceux qui continuent à le défendre se sont à l’évidence trompés d’époque).
Avec l’individualisme et la revendication d’une certaine innocuité du désir et de la passion, on est en revanche en plein dans l’époque. Si on y ajoute le désintérêt pour la « chose publique » (et la montagne, comme l’air et la mer, en fait partie - jusqu’à quand? c’est un autre sujet), c’est à dire le désintérêt pour LE politique - auquel « les luttes de pouvoir et toutes ces conneries de TOUT les partis politiques » (« Jeveuxgrimper » dixit) ne sont pas étrangers -, on voit bien à quel sorte d’intérêts ces valeurs peuvent servir. Les passions des individus, pour innocentes et légitimes qu’elles soient, sont aujourd’hui la cible de marchés, après avoir fait l’objet de manipulations idéologiques en tous genres de la part de régimes autoritaires (colonialistes, nationalistes, fascistes, communistes).
Voilà, à mon avis, un problème politique qui dépasse les clivages droite/gauche et les problèmes partisans : comment arracher des systèmes idéologiques dominants (aujourd’hui, c’est le marché) l’authenticité des valeurs qui nous ont conduit à aimer la montagne ? Cela incite, à n’en pas douter, à dépasser le narcissisme consumériste et replacer ses passions « désintéressées » dans un contexte où elles font l’objet d’« intéressements » divers - c’est-à-dire ne pas laisser le politique aux politiques.
Passionnément,
claudio