Posté en tant qu’invité par Francois:
début
suite1
suite2
suite3
Ne pas tenir compte de la (suite4).
Pour en revenir à mon Promontoire, et comme le temps semblait virer de bord, nous décidâmes unilatéralement de faire la Meije. Je dis « unilatéralement » parce que mon camarade Pierre voulait redescendre prendre une douche.
« Mais on en prend depuis une semaine, des douches ! Ca ne te suffit pas ? »
Il me répondit que oui, mais chaude.
« Ben on rentre en passant par le sommet ; si tout va bien, demain soir, on est à la douche »
- Mais on n’a pas de corde ! on l’a oubliée en bas…
Ah…
J’admets.
Voilà un vrai argument.
D’accord.
Pierre se frotta les mains et chanta victoire, mais un peu tôt.
« Des cordes, si vous voulez, j’en ai »
Thierry volait à mon secours.
« Y’a toujours des gars qui oublient du matos. Qu’est-ce qu’on trouve, là ? » dit-il en farfouillant dans une caisse « …tiens, une quarante en 11, ça vous va ? ».
Pierre, qui se voyait déjà sous la douche chaude, prit une douche froide. Mais c’est lui qui détenait la clé de la situation. S’il voulait descendre pour sa douche chaude, je n’avais aucun moyen de l’en empêcher. Je me résolus à lâcher du lest (en montagne comme ailleurs, il faut savoir composer… et en montagne, lâcher du lest, c’est plutôt bien vu ; à condition de ne pas être en dessous, naturellement) :
- On fera en aller et retour ; on laissera tomber la traversée des arêtes.
Cette concession ne me coûtait rien. Vu le temps de ces derniers jours, la traversée des arêtes ne serait pas praticable avant la Saint Glinglin, alors…
On présente comme une grâce suprême une concession qui, de toute façon, est inévitable. Ca s’appelle « faire prendre des vessies pour des lanternes ». Ma tante bonne sœur qui fait de la reliure en Alsace (du côté de Mulhouse) est spécialiste de la question. A chaque discussion, elle m’entortille dans une dialectique verrouillée dont la seule issue est la capitulation sans condition ou la recherche du salut dans la fuite (bon bin c’est pas tout ça, mais c’est que j’ai de la route à faire, moi).
Thierry rangeait sa cambuse.
« Je vous passerai le réveil, les gars. Comme vous êtes tous seuls, je ne veux pas me lever aux aurores exprès pour vous. Mettez-le sur 3 heures… pour le petit déj’ vous avez la cuisine à dispo… »
Il ajouta avec sollicitude :
« Vous êtes des grands garçons, mais quand même… une semaine de mauvais… à partir du glacier Carré, vous aurez sans doute de la neige ou du verglas. Faites demi-tour au premier verglas… »
- Mais oui, papa -que je lui répondis- t’en fais pas, faut pas rigoler. J’ai pas l’intention de me tuer en montagne… d’ailleurs, si je me tuais en montagne, je le regretterais toute ma vie.
- Ben quoi -renchérit Pierre- on n’est pas tombé de la dernière pluie (ha-ha, sacré Pierre, toujours le mot pour rire !)… le mouillé, ça nous connaît… on est dedans depuis une semaine.
Comme il n’entrait pas dans nos projets de goûter prématurément aux joies et félicités éternelles, je mis dans le sac, outre le marteau, trois pitons, conformément au règlement en vigueur alors : un Charlet universel, une cornière, un extra-plat. La dernière fois que j’avais fait la Meije, je m’étais muni, sous prétexte d’allègement, de zéro piton et de zéro marteau. Peu conforme au droit Canon, je le reconnais. D’ailleurs, je m’étais senti un peu coupable aux entournures, ce jour-là.
Arrivé à cet endroit du récit, je pourrais faire un développement -une digression, diraient certains- sur le matériel qu’on emporte actuellement pour la Meije. Je m’abstiendrai parce que ça risquerait de m’énerver.
Nous mîmes Marceau (la montagne s’appelle bien « la Meije », pourquoi le réveil ne s’appellerait pas « Marceau » ?), nous mîmes Marceau sur trois heures et nous allâmes nous coucher sous trois couvertures.
A trois heures, Marceau sonna.
Je lui foutis un coup de patte.
Marceau se tut (ha-ha… encore une bien bonne !.. vous comprenez pourquoi ?.. non ?.. je vous expliquerai un jour…)
A six heures moins quelque chose, nous nous levâmes.
Thierry prenait son petit déjeuner. C’était l’odeur du café qui nous avait réveillé.
- Quoi ! vous êtes encore là ?
- Ben ouais… y’a du kaoua ?
Dehors, brumes zet brouillards matinaux, mais on sentait que le soleil n’était pas loin. - Vous y allez quand même ?
- Ben ouais… même si on compte dix heures aller et retour, ça nous fait revenir à cinq heures de l’aprèm’… on a même le temps de redescendre.
Ces départs dès poltron-minet sont complètement crétins, surtout pour du rocher. On a froid, on ripe des galoches et on se perd dans le noir…
Quel important besoin nous ferait devancer l’aurore de si loin ? A peine un faible jour nous éclaire et nous guide. Ses yeux seuls et les miens sont ouverts sur le vide. Avons-nous dans les airs entendu quelque bruit ? Le temps nous aurait-il exaucé cette nuit ?
Mais tout dort, et le roc, et le temps, et les glaces.
- A mon avis, vous trouverez le soleil à la brèche du glacier Carré.
Pierre me demanda si on s’encordait tout de suite « on ne va pas se faire ch… avec une corde dès maintenant » dit-il. J’étais bien d’accord ; on pouvait s’encorder plus loin sans inconvénient.
Restait un point en suspens : qui allait porter la corde ?
Finalement, on s’est encordé tout de suite.
Je ne vais pas vous raconter l’ascension de la Meije, ça traîne dans tous les topos. Vous n’avez qu’à lire les topos… vous avez, malgré les efforts de vos professeurs, réussi à lire un texte simple dès la terminale ? bon, alors… même pas besoin de comprendre. Les topos, c’est comme l’armée, suffit de suivre.
Le rocher était bien un peu gluant, un peu visqueux, un peu froid, mais comme l’escalade n’était pas très difficile… les passages classiques s’enchaînaient : le crapaud, le couloir Duhamel, le bond du tigre ou quelque chose comme ça, je ne me souviens plus très bien… enfin, il était question d’un félin…
A mesure que nous montions, le brouillard devenait transparent et le soleil apparaissait maintenant comme un disque blafard à travers les nuages. On devinait l’azur du ciel.
(Parfaitement : l’azur. J’aurais pu écrire « le bleu », comme tout le monde… ben non, c’est l’azur. Plus poétique, vous ne trouvez pas ?.. enfin, bon, ce que vous pensez, je n’en ai rien à f…)
Thierry avait raison, nous aurions le soleil à la brèche du glacier Carré.
Le glacier Carré…
Nous abordâmes le glacier Carré, la roture entre neige et rocher.
Une lumière dorée flottait. La nuée se résolvait en vapeurs impalpables, légères, arachnéennes, qui disparaissaient soudainement dans l’azur.
La brèche…
(à suivre)
[%sig%]