Face N du pic des Cingles ... De l'Art de savoir modifier ses objectifs

mot d’introduction:
Je vous livre ici le récit d’une sortie du caf toulouse que je co-encadrais … j’ai modifié les noms de mes camarades à qui je n’ai pas demandé la permission de raconter cette histoire commune.

A peine remis du but pris à l’Arbizon le WE précedent, je reçois un appel de Xavier qui cherche un co-encadrant suite au forfait de Marc. L’occasion est belle d’effacer le récent échec. C’est parti pour la face Nord du Taillon.
L’épisode neigeux qui nous a fait reculer à l’Arbizon n’a pas épargné Gavarnie. Jeudi, les CRS de Gavarnie nous disent qu’ils restent au chaud malgré ces beaux jours … le message est clair, nous modifions une première fois l’objectif.

L’Ariège devrait être une bonne destination. Le couloir NE du Crabère ? Un coup de fil au PGHM de l’Ariège nous conforte de la possibilité de réussite dans ce secteur, ils sont allés au mail de Bulard et dans la face Nord du pic des Cingles [prononcer « sineglesse » et pas « cinglés »] avant l’épisode neigeux qui là-bas n’a pas été trop conséquent.
Xavier me convainc de proposer le mail de Bulard, sachant que l’accès au Pic de Cingles est voisin, nous pourrons aviser en temps voulu.

Jeudi soir, c’est donc avec l’inscription couloir mixte AD/D+ que je m’assois derrière la table. Nos amis cafistes sont venus nombreux attirés par l’annonce du Taillon au programme.
Passé la relative déception de la disparition de cet Objectif prestigieux il leur faut réfléchir à notre proposition.
La double cotation pose question. AD, d’accord mais D+ … nous confirmons recruter pour une course en D+, longue (13h00 au mieux). Pour aller au mail de Bulard, nous ne pouvons pas faire de concessions, la liste des inscrits reste vide.
En discutant avec les présents, nous repérons quelques candidats potentiels mais ils hésitent toujours. Matthieu craque le premier. Justine nous rejoint aussi. Alors que nous avons finalisé la liste, Fred, co-encadrant Alpi se pointe, il cherche à sortir ce WE … nous serons 5.

à suivre …

Samedi, 11h10, nous partons pour la cabane de Grauillès qui fera office de camp de base. Une fois de plus, nous tombons sur une cabane 3 étoiles. Nous avons l’impression d’arriver à notre maison secondaire, on aère l’endroit, chambre à l’étage y compris.

Nous profitons du déjeuner pour présenter à tous l’itinéraire envisagé dans la face Nord Est du mail de Bulard. Tous le monde ne parait pas convaincu … nous leur soutenons qu’il n’y a rien à craindre si le Mousel ne spécifie pas de difficulté particulière.
Certes la course s’annonce longue mais elle ne mérite pas de faire des cauchemars

Après avoir déjeuné, nous partons en reconnaissance afin de faire la trace pour l’approche prévue de nuit. Arrivés vers 1400m, la face se présente à nous, tout l’itinéraire est visible, nous sortons les jumelles. Une attentive observation nous permet de tirer de nombreuses informations:

  • La pente d’accès à l’attaque de la voie proprement dite est en glace, fournie. Ca n’est pas trop raide mais les manips commenceront dès ici.
  • Il est dur de juger la goulotte annoncée à 50° car elle n’est pas dans l’axe, mais le haut parait bien fourni.
  • La pente à 60° qui suit est en glace … sur une longue distance.
  • Le ressaut, qui dès le départ nous à paru être le crux, parait raide d’ici … et moyennement fourni dans le bas.
  • Les couloirs de la deuxième moitié de l’itinéraire sont fournis mais 2 à 3 ressauts mixtes voir en glace se laissent deviner.

Nous n’imaginions pas trouver tant de glace, 2-3 broches sont nécessaires d’après ce cher Mr Mousel … les 4 à 6 heures initialement prévues risquent fort de s’allonger si nous donnons toutes les broches à la première cordée avant de se retrouver sur un relais commun …

Nous finissons par nous rendre à l’évidence. Si nous ne voulons pas nous lancer dans une interminable galère, il va falloir savoir modifier une deuxième fois notre objectif.

Pour une cordée solitaire, ça aurait pu être jouable mais là, déjà trop d’éléments viennent conforter la décision:

  • BRA limite pour les faces Nord et Est -surtout à haute altitude-
  • équipiers pas trop expérimentés sur terrain mixte, nombre de broches insuffisant
  • choix des piolets et crampons bon mais pas top pour certains …

Enfin, nous n’avons plus envie.
Partons reconnaitre l’approche du pic des Cingles dans le vallon voisin.

Le Mousel annonce la couleur "AD+, 620m, pentes assez soutenues à 50-55°. Belle course se déroulant dans une ambiance ariégeoise sauvage et austère"

à suivre …

Le chemin qui mène aux ruines de l’Artigole, passage obligé, n’est pas indiqué sur la carte et n’est pas évident à trouver. Pour nous faciliter la tâche, le PGHM de l’Ariège est passé par là il y a quelques jours. Nous suivons leurs traces.
Une fois rendu aux ruines, nous sortons de nouveau les jumelles. Cette fois-ci, l’itinéraire dans la face en neige ne nous pose pas question. Filons reconnaitre le contournement de barre rocheuse suivante en glace. Nous perdons la trace à la faveur d’un dense sous bois et gagnons le droit à 10-15 minutes de bartasse avant de retrouver le chemin juste un peu plus haut. Première bartasse du WE …

Vers 1600m, nous sommes sortis du sous bois, on aperçoit encore les traces du PG qui partent dans le vallon suivant … ça suffira pour aujourd’hui.
De retour à la cabane vers 16h30, place à la traditionnelle corvée de bois … et à l’apéro vin chaud.

L’ambiance est détendue, plus que lorsque le mail de Bulard était toujours notre objectif. Plus détendue également que lorsque les bouteilles de vins étaient pleines … nous passons une bonne soirée mais comme le levé est fixé à 4h00, à 21h00, c’est extinction des feux.

4h00, le réveil sonne.
5h00, nous voilà partis.
7h15, nous arrivons sans encombres au pied du couloir des Cingles. Juste le temps de nous équiper pour laisser le point du jour nous faire suffisamment de lumière pour bien appréhender l’attaque.
7h30, Xavier s’engage avec Justine à sa suite dans l’itinéraire. Dès le départ, ça commence à brasser.

Nous gardons constamment nos distances, ça brasse franchement par endroit. La plaque de surface qui fait de 5 à 15 cm d’épaisseur se désagrège régulièrement en plaques de 50cm maximum de côté. Dessous on trouve une infâme et épaisse couche de gobelets

Le couloir qui permet de franchir la barre rocheuse qui ceinture la face dans sa moitié est un peu meilleur.
A mi-course, nous n’avons pas perdu plus de 20 à 30 minutes.

Dans la pente suivante, ça se gâte. Ca brasse dur.
Je suis rassuré par le fait que la plaque supérieure se brise sous nos pas, au moins nous ne portons pas dessus et ne partirons pas avec. Cependant, nous restons méfiants car les conditions varient énormément, et le plan de glissement est malheureusement bon. Les passages portants et sains alternent avec cette neige pulvérulente dans laquelle nous pouvons faire 3 à 5 pas pour ne monter que de 15 à 20cm … franchement agréable !!!
La trace faite par Xavier ne nous sert souvent à rien … tout le monde en bave.

En arrivant près du sommet, Xavier hésite à prendre sur un éperon plus à droite que le couloir de sortie … qu’il ne prendra pas, nous sommes partis avec tout juste 3 pitons, 3 coinceurs, 3 broches … au cas où. Les broches ne serviront à rien, c’est un peu juste.
Il est monté haut, il doit bricoler pour gagner la base du couloir de sortie. Plus bas nous le rejoignons sans peine par les pentes de neige … ayant attendu de voir ce qu’il décidait de faire juste avant, il repart devant nous.

De nouveau, ça brasse dans le couloir de sortie … Xavier de nouveau en éclaireur se retrouve dans une traversée franchement désagréable sous la dernière barre qui défend le sommet. Une fois de plus, nous contournons par la droite la difficulté pour gagner la crête là où elle paraît le moins cornichée.
Nous protégeons les derniers mètres sur les rives du couloir … et sortons à 12h15, oh hasard, juste à l’endroit choisi quelques jours plus tôt par le PG.
Nous avons mis presque 5h00 contre 2h30 à 3h00 en temps normal … quand on vous dit que ça brasse !!!

Ce n’est pas sans soulagement que nous retrouvons le soleil des pentes Sud. Le temps est clair, pas un souffle de vent. Le temps du déjeuner est très agréable. Ca valait le coup tout de même.

à suivre …

suite et fin …

Pas de problèmes pour rejoindre le port de l’Orle par les pentes Sud. Au vu de l’heure, nous oublions l’idée de le regagner par toute crête.
Si les conditions de neige avaient été extra et que nous étions sortis à 10h00 comme prévu, nous l’aurions envisagé, mais la fin de l’ascension à été un peu éprouvante. Choisissons la facilité.
Si nous atteignons la cabane du Hounta d’une manière des plus agréables dans le vallon de l’Orle, une fois celle-ci atteinte, nous modifions par manque de vigilance une dernière fois l’objectif initial comportant un retour de course simple. Mauvaise idée que de refuser ce simple retour par le GR 10 jusqu’à la Pucelle.

Notons au passage que si elle est rustique et petite, elle a du cachet cette cabane du Hounta adossée à cette immense bloc qui compose l’un de ses murs, sa couchette en fougère et sa minuscule cheminée.

Jusqu’à 1350m, tout va bien, nous sommes sur un vieux chemin qui suit à flan les raides pentes en sous bois situées rives gauche de l’Oule. La carte nous laisse penser que nous gagnerons le chemin aller sous les ruines de l’Artigole … un raccourci de derrière les fagots en somme.

C’est oublier que les cartes IGN ne marquent pas toutes les gorges … et le ruisseau de Bularède dans ce secteur est de fait, très encaissé dans les parages.
Pas moyen de passer à l’Ouest … la guerre froide a encore cours au fin fond de l’Ariège … informons les !!!

Alors qu’à vol d’oiseau nous sommes vraiment proches de la cabane de Grauillès ou nous devons récupérer nos affaires, ça commence à Bartasser sévère.

En restant aux alentours du fil de l’arête qui descend du secteur du Pic de l’homme mort nous pouvons louvoyer en évitant les barres situées sur notre droite. Vers la fin, un peu affligés de notre manque de discernement qui nous à conduit à cette situation, nous envisageons même de tirer un rappel alors que nous approchons du lit de l’Orle. Mais ça passera sans ces complications.
Nous voilà à 200m du chemin qui mène à la cabane, à peine 300m plus loin encore. Pour cela il faut d’abord traverser le Bularède, puis l’Orle pour gagner sa rive droite … avant de ne plus le traverser car ça devient de plus en plus problématique …

Aller, fini les conneries, nous remontons sur le GR10 dans une dernière bartasse malgré le détour de près d’un kilomètre qu’il impose. Nous venons de perdre une heure et demie.
Nous nous reposons finalement un peu à la cabane et descendons à la voiture, 13h00 après être partis. Nous avons bien fait de trier nos inscrits sur le volet jeudi …

Un dernier verre à Castillon s’impose avant de regagner Toulouse.
Pas de doutes, ce fût un bon WE dans l’austère et sauvage Ariège.

la sortie et conditions associées en version courte en cliquant ici

Vive l’Ariège profondes, ses sentiers disparus, ses zones mal cartographiées, et ce sentiment d’éloignement de la civilisation si rare en France.

Merci pour le récit, très agréable à lire. En effet ca a l’air sauvage l’Ariège l’hiver! Et puis belle motive pour faire de l’alpinisme hivernal :wink:

joli, de belles bavantes comme on les aime !

[quote=« Bloublou, id: 1127653, post:4, topic:107585 »]suite et fin …

Pas de problèmes pour rejoindre le port de l’Orle par les pentes Sud. Au vu de l’heure, nous oublions l’idée de le regagner par toute crête.
Si les conditions de neige avaient été extra et que nous étions sortis à 10h00 comme prévu, nous l’aurions envisagé, mais la fin de l’ascension à été un peu éprouvante. Choisissons la facilité.

la sortie et conditions associées en version courte en cliquant ici[/quote]

:smiley: Salut je vois que mon petit topo de 2006 ressort des oubliettes…dommage qu’aucun de vos deux groupes n’est pu faire l’arête jusqu’au Port d’Orle car c’est vraiment joli et avec une sacré ambiance…Mais les conditions de course dicte les choix…vous avez joué la prudence c’est mieux ainsi… c’était bien gelé la Face du cingles lors de notre course…et les corniches sur l’arête c’était du béton.

Pour tout dire , coté espagnol il y avait un tel blizzard épais que nous avons préféré suivre l’arête pour éviter de nous perdre à l’époque.

Merci pour vôtre petit retour çà me rappèle plein de bon souvenirs…

salutation Pyrénéennes Pastriste. :cool: