Posté en tant qu’invité par deplacé:
[quote]Escalade au Boffi
« Quand l’homme aura coupé le dernier arbre, pollué la dernière rivière, tué le dernier animal et pêché le dernier poisson, il s’apercevra que l’argent n’est pas comestible ».
Proverbe indien
Pour moi, tout a commencé non pas « au cours d’une nuit passée sur une route perdue dans une lointaine campagne » mais bien au chaud dans mes pantoufles, devant mon écran d’ordinateur que j’allais m’apprêter à éteindre, les yeux explosés par une dure journée de labeur. Plus précisément à la réception d’un courriel de l’Alpina informant les pratiquants d’escalade qu’un arrêté, émanant de la Communauté de Commune de Millau Grand Causses, leur interdisait l’accès aux voies du Boffi, et aux sentiers d’accès, eu égard à des travaux sur la vie ferrata éponyme, du 21 novembre 2014 au 31 janvier 2015. N’ayant jamais emprunté le boulevard d’acier de cette belle prothèse verticale, je fus néanmoins interloqué puisqu’il me semblait que son tracé bucolique serpente en face ouest, donc bien loin du secteur d’interdiction mentionné, celui-ci s’étendant en effet jusqu’à la célèbre baume du Boffi.
Interloqué par cette bizarrerie cartographique, je cherchais donc, dès le lendemain, à obtenir des renseignements complémentaires auprès de la mairie, le Boffi se situant, sauf erreur de ma part, sur le territoire de notre bonne ville. Dans un premier temps, on me parla effectivement de travaux de réfection. Puis devant mon insistance, expliquant à mon interlocuteur – qui ne semblait pas faire la différence entre un chausson d’escalade et une batte de baseball - qu’il n’existait, pour l’heure, aucune installation dans la zone évoquée, de travaux de mise en sécurité. Il ne me restait donc plus qu’à enfiler une paire de tennis et me faire une petite ascension digestive depuis la Dourbie (la côte de la Pouncho étant fermée), afin de me faire une idée de visu.
Deux cents et quelques calories plus loin, parvenu à mi-chemin, j’entendais déjà le doux chant du « perfo ». Un roucoulement assez rarissime lors de travaux de purge qui nécessitent plutôt un « bourrinage » en règle au pied de biche. Mais n’étant pas un spécialiste des chantiers de développement durable, je poussais un peu plus ma petite randonnée jusqu’à apercevoir, jaillissant du brouillard ambiant, une gracile passerelle d’une cinquantaine de mètres oscillant, majestueuse, à l’aplomb des voies d’escalade. Défi architectural et aérien démontrant le génie visionnaire de nos aménageurs politiques. Millau, la capitale galactique des sports de pleine nature compte, désormais, une corde de plus à son Disneyland touristique. J’imaginais même, au bout de la saignée salvatrice qui avait été taillée l’été dernier à travers la forêt, un Mac Do avec, pourquoi pas, des navettes par quads depuis le parking. Allez, rêvons un peu, osons la barrière de péage avec possibilité de se « voituriser » jusqu’au départ de la vie ferrata. Aaaarghhh ! Et le télécabine depuis Capelle Guibert.
Mais l’orgasme frise l’égarement.
Dès ce printemps, de nouvelles migrations consuméristes, assoiffées d’espace et de vertige bon marché, pourront donc venir contempler, du haut de ce nouveau perchoir géant, la gente grimpante qui officiera quelques mètres sous leurs pieds. Je savoure déjà les quolibets bon enfant et les lancées de cacahuètes moqueurs sur les casques multicolores. Mon pote le vautour qui, cet été, contemplait, amusé, ma énième chute dans ce maudit 6a+ qui me résiste depuis tant d’années appréciera sans doute cette nouvelle compagnie, probablement encore plus respectueuse que je ne le suis de son habitat. Je n’ai pas encore demandé l’avis de mes amis les craves à bec rouge qui, chaque fin d’après-midi verticale, enchantent mes sens en sculptant, dans le ciel rougeoyant, leurs calligraphies acrobatiques ponctuées de rires sarcastiques. Mais quelque chose me dit qu’ils doivent penser que « le cauchemar a déjà commencé ».
Ph.Donnaes[/quote]