Erri de luca, de passage

Posté en tant qu’invité par claudio:

"En grimpant, je me procure un désert provisoire. J’entre dans un lieu vide ou très peu fréquenté, un lieu ou je peux jeter un coup d’oeil sur le vide qui nous a précédés ­ - et qui nous succédera, je vous le promets. Là-haut, je me trouve en situation d’hôte, mais pas d’invité. Et j’appartiens un peu moins à ce temps qui a la présomption d’être résident sur terre, d’être le patron de la terre, de l’air et de l’eau.

Et puis j’ai des sentiments inactuels, comme celui d’être violemment, substantiellement, de passage. Physiquement, évidemment, à la surface des montagnes, mais aussi sur celles des lettres hébraïques : je m’en tiens au caractère littéral des Ecritures, je n’interprète pas. Je crois que ce texte est à prendre ou à laisser, dans son entier. Je n’aime pas descendre dans les profondeurs du sol ou de la mer : je nage, mais je ne plonge pas. Je suis quelqu’un de surface.

Je me sens tellement de passage qu’en montagne, je ne plante jamais de clou. J’utilise ceux des autres, ça oui, mais jamais je n’ai donné un coup de marteau sur une paroi rocheuse. Et quand j’arrive au sommet, une sorte de pudeur m’empêche d’écrire sur le livre qui se trouve parfois là, pour que les alpinistes laissent quelques mots. Je ne veux pas laisser de trace ­ - seulement celle de mes pas, mais en montagne, la neige a tôt fait de les recouvrir, c’est même l’un de ses dangers."

erri de luca,
interview complète à l’adresse http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-677948,0.html