23 avril… Un an déjà.
Allez, je publie sur C2C sans ton autorisation une peccolade parue dans la revue du CAF d’Angoulême en 2012. Gillebert, si tu te reconnais…
Face nord des Drus, voie Allain/Leininger. Août 2000.
Gilbert est originaire de l’Estaque, banlieue de Marseille chère à Guédigian qui , je ne comprends pas pourquoi aujourd’hui, ne lui a jamais donné un rôle dans aucun de ses films. Je devrais dire Gillebert, car avec l’accent infernal… Gilbert est petit, la mâchoire inférieure un peu proéminente, ce qui lui donne un sourire un peu carnassier avec les dents du bas recouvrant celles du haut, maos costaud. Je le vois partir du camping avec un énorme sac à dos d’un pas sans équivoque. Sûr, ce n’est pas le poids qui va arrêter notre homme. Le soir, Gilbert raconte des histoires ponctuées de grands gestes devant un auditoire riant aux larmes. Plus tard, nous parlons montagne. Un vague membre de sa famille habitant le Valgaudemar et le récit de son ascension de la voie normale du Jocelme suffisent à former notre cordée. Objectif : la face nord des Drus par la voie ouverte en 1935 par Pierre Allain et Raymond Leininger, un des jalons de l’histoire de l’alpinisme.
Gilbert aimerait que l’on s’entraine un peu avant le grand jour. Bonne idée, mais le temps presse car ses vacances se terminent dans trois jours. Nous irons donc à la Petite Verte, course pas vraiment indiquée pour se préparer aux Drus, mais bon. L’avantage est que de là, nous pourrons descendre bivouaquer au pied des Drus et que c’est quand même plus sympa et rare de faire une approche en descente. Ce sera de la fatigue en moins. Nous étalons sur la pelouse du camping toute notre richesse en matériel : cinq sangles, six dégaines, un vieux piton rouillé, deux pares de crampons, deux baudriers, deux paires de chaussons, deux piolets, quelques mousquetons à vis, deux descendeurs et surtout deux brins de 50m paraissant indispensables à la descente en rappel. Nous décidons qu’au sommet du Petit Dru, nous franchirons le passage en Z pour atteindre le Grand Dru car il semblerait que la descente en rappel en soit plus évidente… Nous verrons. Vu l’impressionnant matériel étalé, le gardien du caming nous demande si nous allons au lac Blanc. Euh non, aux Drus. Et bien sûr Gillebert démarre : « … que pour le moment, on n’a pas les moyens d’acheter des casques, des fiends, des coinceurs, et que ce n’est pas une affaire d’argent, et que Livanos, dans les Calanques, limitait volontairement son matériel et que ça passait pareil et puis occupes-toi de ton camping, nous on s’occupe des Drus. »
Nous décidons d’un commun accord que je ferai toute la course en tête et que Gilbert portera les cordes, son camping-gaz, la bouffe, etc. Nickel, j’ai horreur du poids. C’est parti. Je redoute un peu le voyage en téléphérique car je pense que toute la benne va avoir droit au best-of des histoires marseillaises. Pas manqué, vivement la grande solitude aux pieds des Drus. Gilbert cavale malgré son gros sac. En milieu d’après-midi, nous sommes au bivouac sur le Rognon des Drus, dominé par la face ouest qui envoie son granit vers le ciel. Bivouac confortable sous un gros bloc bien que sans duvet ni matelas. Heureusement le réchaud de Gilbert ronfle plus doucement que son propriétaire.
L’avantage lorsqu’on ne dort pas est qu’on est vite en action et à 5h du matin nous empruntons un couloir « carrossable » qui nous amène sur des banquettes vers la droite de la face ouest dans des fissures et cheminées où les Drus haussent le ton. Escalade athlétique. On tire, on pousse et quand on a de nouveau de grosses prises pour les pieds, on appuie son front humide sur la paroi et c’est bon d’écouter les battements de son cœur. Nous venons buter sur une paroi lisse et verticale et les Drus, surement vexés par notre attaque surprise, cherchent à nous impressionner avec des fissures de grosse cylindrée et des râteaux de chèvres (qu’ont-elles à voir avec ça ?). Le terrain n’incite pas à la rigolade. D’ailleurs je n’entends plus Gillebert qui redevient Gilbert. Le silence et le vide n’incitent même plus à réfléchir. On trouve des pitons qui permettent de respirer et d’autres qui coupent la respiration quand ils restent dans la main.
Nous approchons de la niche des Drus et quelques coulées de glace s’amusent à boucher les fissures. Je trouve la plaisanterie très moyenne et j’en viens à regretter les vannes de Gillebert. Mais silence radio de ce côté là. Enfin la niche avec sa glace qui se deverse dans le vide. Nous ne suivons pas ce mauvais exemple et nous préférons filer discrètement vers la fissure Martinetti au pied de laquelle nous faisons un relais F2 (deux fesses). Et ça continue. Le Vsup chamoniard mets les biscotos comme les bouteilles de Chianti. Au dessus, deux ou trois surplombs se font tirer l’oreille et l’ascension devient mixte. Neige, rocher, verglas et glace ont de qui ouvrir l’appétit des plus blasés. Nous faisons une halte sur une vire pleine de quatz dont Gilbert entreprend l’extraction. Grâce à une cheminée interminable avec de la glace au fond pour se rafraichir nous arrivons tout près du sommet et au sommet.
Je passe sur les commentaires de Gillebert à propos de la vierge du sommet comme quoi elle est toute percée par les impacts de foudre… Nous nous attaquons au magnifique passage en Z qui mène au Grand Dru. Je ne vous lis pas la topo car il y en a pour une demi-page bien soporifique. Je me souviens juste d’une cheminée coudée pleine de glace et bien verticale du style qu’est-ce que je fous là-dedans en chaussons. J’ai dû finir ce truc au-dessus d’un vide sidéral et sidérant avec un ouf ! de bonheur. Tellement magnifique le passage que jamais plus on voudrait le refaire pour une série de photos d’oncle B. C’est vous dire !
Sommet du Grand Dru. Gilbert est éteint et repose son quartz sur le sommet. Voilà qui devrait intriguer le géologue qui passera par là. Nous enchaînons les rappels impeccablement jusqu’au moment où une chute de pierres nous sectionne la corde net. Heureusement, nous étions au relais et il nous manque à peu près 10m ce qui nous permet d’en terminer sans problème. Nous laisser glisser jusqu’au refuge de la Charpoua et ensuite jusqu’au Montenvers nous semble un jeu d’enfant et c’est de bonne grâce que nous répondons à ce couple qui nous demande d’où nous venons. « Du lac Blanc m’sieur dame, du lac Blanc ».