Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:
Dis, et toi, comment tu t’arrêtes ?
A ski, monsieur V. de B. se singularisait par la technique très personnelle qu’il avait peaufinée lors de moult entraînements en solitaire.
Sa méthode était basée sur le principe de la descente tout schuss.
Brave, intrépide, hardi, sans hésiter il empruntait en toutes circonstances la ligne la plus directe.
Fendant la neige, il dessinait sur les pentes de lumineuses trajectoires, à chaque fois immanquablement couronnées par d’éblouissantes gamelles, par des pelles réalisées avec un brio magistral, une perfection accomplie.
Lors de cette chorégraphie bien réglée au cours de laquelle il propulsait vers le ciel ses jambes maigres battant l’une contre l’autre, avant d’effectuer plusieurs tours sur lui-même, et, parfois, un double saut de l’ange, les bras écartés comme des ailes, Monsieur V. de B. laissait fortuitement à divers morceaux de son anatomie le soin de maintenir le contact avec le sol glacé.
Lorsque nous descendions en forêt, donc avec une visibilité réduite, je suivais les péripéties de son avance grâce à l’écho multiple du bruit de ses exploits.
Blom ratatatatata clac crac (bruits sonnant clair).
Il a pris une gamelle, maintenant il dévale la pente, sur le ventre, à tombeau ouvert, ça y est, il s’arrête contre un sapin les skis en avant, pensais-je, en entendant ce boucan de tous les diables.
Blom ratatatatata clong (bruit sourd produit par le choc d’un corps creux).
Il a ramassé une pelle, maintenant il déboule dans le ravin, sur le dos, à fond la caisse, ah ! il s’immobilise contre un sapin la cafetière la première, réfléchissais-je, en oyant ce raffut, et subitement angoissé.
Au-delà de la limite de la végétation, pour s’arrêter, Monsieur V. de B. ne pouvait plus compter que sur un coup de bol.
Après avoir réussi l’ascension du Petit Combin, nous descendions vers Fionnay en compagnie du gardien Maxime Dumoulin qui, fin de saison oblige, avait mis la clef du refuge sous la porte.
En ce début du mois de juin, la montagne était encore exceptionnellement enneigée.
Nous venions de passer le petit col en dessous duquel la pente abrupte file d’un seul jet jusqu’au fond de la vallée, lorsque Monsieur V. de B. pris une énième bûche : blom.
Fascinés, admiratifs, nous le vîmes alors dévaler le flanc de la montagne dans son style si formidable : ratatatatatatatata… sans nourrir le moindre espoir qu’il ne s’arrête avant le premier bistrot, qu’on devinait, tout petit, tout en bas, en bordure du hameau de Fionnay.
Maxime, l’enfant de la montagne, né sur des skis, était médusé. Jamais, dans ses rêves les plus extravagants, il n’avait imaginé croiser un jour un skieur de ce calibre. Et… en compagnie d’un guide, en plus.
Le bol ! Quelques dizaines de mètres en contrebas, une accumulation de neige ramollie stoppa la dégringolade de Monsieur V. de B.
Dis, et toi, comment tu t’arrêtes ?
[%sig%]