Posté en tant qu’invité par Cornélius:
La question n’est pas « pourquoi discuter des circonstances d’un accident », mais plutôt « comment discuter des circonstances d’un accident ».
Il ne s’agit pas de savoir s’il faut en discuter ou pas puisque si on en discute, c’est qu’on a besoin d’échanger, autant pour les proches que pour les autres. Un accident, quelles que soient ses circonstances et sa gravité, et quel que soit la proximité qu’on en a, est un choc émotionnel qui renvoie à ce qui peut - probablement - nous arriver. Forcément ça interroge et on a besoin d’en discuter pour comprendre et diminuer le risque.
Comment en discuter ? Tout d’abord, un comportement éthique serait de ne pas être trop indiscret vis-à-vis de la victime et de ses proches en évitant les jugements de valeur. Ensuite, on peut faire des cartes et des séries statistiques, mais ce qui est à la fois passionnant et effrayant sur un terrain aussi complexe que la montagne, c’est que toutes tentatives de rationalisation resteront toujours approximatives. Les activités en montagne sont une formidable école de philosophie de la connaissance, parce que l’expérience remet sans cesse en cause nos certitudes. C’est une application directe du principe d’indéterminisme d’Heisenberg pour ceux qui s’intéressent à la physique quantique et à la philosophie des sciences : on est sûr de ce que l’on sait maintenant, mais on peut toujours en savoir davantage. Et pour en savoir davantage, rien de mieux que d’en discuter avec d’autres pour élargir son champ de connaissance.
L’absence de risque n’existe pas. La raison est simple puisque le risque repose sur la dimension humaine. La première erreur, générale, est d’être là, dans un milieu à risque. Il n’y a pas d’accident sans présence humaine. Il y a dix ans, malgré toutes les précautions que je prenais, un parpaing frôlé par mon sac à dos dans une cheminée en Vanoise est tombé sur la jambe de mon compagnon de cordée. Fracture ouverte tibia-péroné. 4 mois d’hôpital. 10 ans de questionnements. Ca aurait pu tomber sur sa tête. Ca aurait pu passer à côté. On ne peut que diminuer le risque, pas l’éliminer à moins de faire du tricot… Et encore, on n’est jamais à l’abri d’une rupture d’anévrisme ou d’une crise cardiaque, d’une chute de météorite si on y croit, d’un obus si on habite à Gaza ou de la rupture du pan de montagne de Séchilienne si on habite à Grenoble.
En montagne comme dans toute action humaine et sociale, outre les données « naturelles », il ne faut pas oublier la dimension humaine, à la fois personnelle et dans les interactions du groupe. Qui n’a jamais fait une erreur de jugement et pris des risques inconsidérés parce que l’envie de continuer était plus forte que la raison ? Qui n’a jamais fait une erreur de jugement à cause de la fatigue, surtout à la descente ? Qui n’a jamais suivi contre son gré un compagnon de cordée qui semblait si sûr de sa décision (réussissant à vous convaincre que le risque 0 existait, par exemple) ? Qui n’a jamais surestimé ses capacités parce que quelques semaines plus tôt son corps était au top de sa forme, mais ce jour-là, il a décliné sans prévenir…
Bref, discutons-en le plus possible et le mieux possible en jugeant le moins possible, parce qu’en toute honnêteté, il faudrait chercher les causes profondes dans la psychologie de chacun pour comprendre les raisons de mettre sa présence physique dans un milieu aussi dangereux et complexe que la montagne. Combien seraient volontaires pour prendre un tel « risque » de réflexivité ?
Bonne montagne !