Ce dimache un alpiniste à dévisé dans le Goûter, je faisais partie des 4 personnes qui grimpaient. J’ai écris un court texte pour ne pas oublier, mais aussi pour évacuer, et rendre hommage.
Initialement c’était destiné à mon entourage, mais je ressens le besoin de le faire partager, c’est écrit à chaud dimanche soir. je le poste tel quel
J’avais prévu plein de photos, en particulier aujourd’hui vers midi un selfie du sommet du Mont-Blanc. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu, et pour d’autres raisons que celles que j’aurais pu prévoir.
Encore ce vendredi 17 octobre, je devais simplement faire une gentille sortie escalade ce dimanche, mais au dernier moment celle-ci tombe à l’eau… Le temps est magnifique, exceptionnel même, la saison est finie, les touristes sont partis… la décision suit l’idée : je vais au Mont-Blanc… en tout cas dans le massif du Mont-Blanc et j’y vais sur deux jours, tout se fera à pied toutes les remontées étant fermées à cette période, je passerais la nuit au refuge de Tête Rousse, ensuite on verra, tout dépendra de ma forme, de la difficulté objective liée aux conditions automnales, d’éventuels compagnons d’aventure…
Samedi 18, j’arrive à 13h au parking du Crozat, à Bionnassay (1420m), un lourd sac sur le dos avec équipement complet, vêtements chauds, eau et nourriture. La montée se fait dans un cadre fantastique, paysages grandioses. J’aperçois un ballet d’hélicoptères là-haut. Peu avant 19h, exactement comme prévu, j’arrive au refuge de Tête Rousse (3167m). Encore le temps de profiter du coucher de soleil.
Au refuge il y a déjà 6 personnes qui ont prévu de monter : 3 Polonais, un père avec son fils et sa fille, ils viennent depuis Varsovie juste pour profiter de ce WE exceptionnel et gravir le Mont Blanc. Stéphane et Anne-Marie, un couple de Bourg-en-Bresse, la cinquantaine, des montagnards aguerris ; et T. , un autre homme du même âge environ.
J’apprends que les hélicoptères sont venus secourir un russe qui à dévissé dans le « Grand Couloir ». Miraculé me dit on. T. , qui parle russe à fait office de traducteur entre les secouristes et les deux alpinistes russes.
T. est monté au refuge comme moi, en solo, depuis Les Houches, il a fait la connaissance de Stéphane et Anne-Marie quelques heures auparavant, ils vont monter ensemble. Ils me proposent de me joindre à eux, j’accepte avec joie.
Nous dinons en faisant connaissance. T. évoque ses dernières courses en montagne, son domicile non lion de Genève, son emploi de scientifique dans une organisation internationale, son épouse, ses enfants… L’ambiance est chaleureuse et conviviale.
Lorsque je sors apprécier le spectacle grandiose du ciel étoilé par une nuit claire et sans lune je me dis que cette première journée n’aurait pu mieux se passer… Les conditions sont parfaites, on sera probablement seuls au sommet (un luxe !) et avec un ciel vierge de tout nuage. Mais je ressens une certaine appréhension en regardant la face glacée et menaçante de l’Aiguille du Gouter, couverte de neige et bien loin des conditions estivales.
En haute altitude il est difficile de trouver le sommeil, la nuit est très courte, lever 3h30, nous mangeons, nous préparons et partons à 5 heures pile.
Nous partons non encordés, « nous allons nous encorder après le Goûter », soit, je ne suis pas le mieux placé pour dire comment faire à des personnes qui ont 20 ou 30 ans de pratique de la montagne. Je note également que T. n’a pas de casque, je n’y prête pas attention car je suis le premier à ne pas mettre de casque quand la situation ne semble pas l’exiger. Cette fois ci je le porte.
Il fait encore nuit noire, nous progressons à la frontale, T. est en tête suivi de Stéphane et Anne-Marie, je ferme la marche. Je peux les voir tous les trois cramponner avec précision et passer chaque difficulté avec aisance et naturel. Le rythme est bon, j’arrive à suivre mais il ne faut pas que ça aille plus vite.
Nous arrivons rapidement à la traversée du « Grand Couloir » (3340m), une traversée d’une cinquantaine de mètres d’un couloir de purge. En été le danger vient des chutes de pierres, mais le passage est un large sentier avec un câble pour s’assurer tendu de part et d’autre. En cette fin octobre le décor n’a plus rien à voir, le couloir est un toboggan de neige et de glace où la moindre glissade mène plusieurs centaines de mètres plus bas, le câble à été replié pour la saison d’hiver et la trace est à peine visible.
Le danger objectif est important, tout le monde passe, mais cette fois je les vois hésiter et tâtonner, c’est mon tour, je passe, les passages de glace sont affreux, je vérifie chaque appui en tapant plusieurs fois et sue à chaque fois que je déplace mon piolet que j’ancre aussi profondément que possible dans la glace. Il fait encore nuit, je ne vois pas en bas, c’est mieux.
Nous faisons une pause pour souffler un peu. T. offre du thé chaud à tout le monde.
Nous continuons, la voie n’est pas toujours tracée nous montons au mieux, ce qui est sensé être un cheminement dans les rochers en s’aidant des mains devient une course d’arête mixte sportive avec la glace.
Le jour commence à se lever, en regardant en arrière le vide et le mur qu’on grimpe sont impressionnants, je redouble d’attention.
Nous avons éteint les frontales, on voit désormais bien clair, l’ancien refuge du Goûter est maintenant bien visible 150m au dessus de nous au plus, encore quelques efforts et nous y seront pour une pause bien méritée. Ensuite c’est l’arête des Bosses, c’est long mais c’est de la marche, nous devrions atteindre le sommet vers midi.
Avec Anne-Marie nous avons pris un peu de retard sur les deux hommes de tête. Je me concentre sur la voie pour finir les dernières difficultés avant la toute dernière partie avant le refuge où un câble sécurise la progression.
« Ahhhhhhhhhhhhhhhh !!! »
La scène que j’ai vue va me rester longtemps en mémoire. Le corps désarticulé de T. passe 5m devant moi. C’est totalement indescriptible, une scène de film. Tout le monde s’est figé, je ne veux pas croire ce que j’ai vu.
Au moment de la chute, Stéphane crie « Arrête-toi ! Arrête-toi ! », mais rien n’y fait, surement déjà sonné, le malheureux prend de la vitesse, nous le perdons de vue.
Plus tard, Stéphane m’expliquera plus tard ce qui s’est passé, ils étaient déjà arrivés au début du passage câblé, T. avançait sûrement, sans tenir le câble, son pied ripe sur la glace, il part en arrière, dans un mouvement reflexe ses mains viennent chercher le câble…et se referment sur le vide. Il ne tenait pas le câble. Il n’était pas vaché.
« On descend. »
Ces mots sonnent comme une sentence, personne ne dit rien mais tout le monde à compris.
Il est 7h28, nous sommes à 3678m. J’appelle les secours, le 112 passe très mal, finalement c’est mieux avec la ligne directe du PGHM.
Nous descendons une centaine de mètres, on a désormais vue sur le bas du couloir, de larges traces de sang se détachent sur la neige. 600m plus bas. Il n’y aura pas de miracle aujourd’hui.
Les hélicos arrivent, ils ont vu l’ampleur de la chute, ils ont compris qu’ils cherchent un corps.
Nous nous vachons à un relais opportunément placé à cet endroit. Un sauveteur se fait treuiller vers nous. Chaque geste est parfait. Le professionnalisme des gendarmes du PGHM de Chamonix n’est pas une légende.
« Ca va ? »
Nous nous sentons bien, le contrecoup viendra après.
Deux par deux, l’hélico, un EC145 de la sécurité civile nous hisse et dépose à Tête Rousse. Je pars en dernier avec le sauveteur du PGHM, un gars de mon âge, vrai montagnard.
On passe juste un anneau dans le mousqueton à vis au pontet de chaque baudrier et on décolle. Le câble s’enroule je peux monter dans l’hélico, suspendu au dessus du massif à près de 4000m.
Bref arrêt à Tête Rousse, nous récupérons quelques affaires laissées au refuge et montons tous. Direction Chamonix.
L’ambiance au PGHM n’a rien a voir avec une gendarmerie classique. Les militaires sont une élite de passionnés, l’esprit est familial. On nous offre le café, les chiens viennent nous dire bonjour. On nous propose un soutien psychologique. Nous commençons à réaliser ce qui s’est passé.
Environ 1h après le deuxième hélico ramène la dépouille mortelle de T.