Bidoche - tome I

Posté en tant qu’invité par l’Urbain:

Bon, Catherine, Franck Wha et Marcel dorment, c’est le moment de glisser un pavé…
Comme d’hab’, c’est long, ne lisez pas, c’est juste une thérapie que je fais en ce moment.

« Je ne pense pas que ce soit par là, Pierre. »

Pierre ne répond pas. Il bataille sans mot dire. Il n’a pas posé de protections : ça sera lui ou le dièdre.
Enfin, le dièdre, passe encore, mais c’est surtout le fait qu’il soit coiffé d’un toit respectable qui m’inquiète. Dans le topo, ils ne parlent pas d’un toit en 7a/b…

« Redescends, Pierre, ça a l’air plus facile à gauche ».

Justement ! A gauche, c’est des espèces de vires sans aucune classe. Alors qu’un dièdre surmonté d’un toit, pardon !
Résigné, je me décide à le laisser se débrouiller. Ca ne sera plus très long : le voilà sous le surplomb. Quelle pitié… Jetons un voile pudique sur la scène qui suit. Pierre redescend, et me signifie par grognement que c’est mon tour. Et c’est donc sans aucune classe, mais avec un soucis certain de rentrer en un seul morceau à la maison, via le sommet si possible, que je me dirige vers les vires…

Quelle cordée nous formons ! Pierre a 60 balais. Tous les ans, il fait le Mont Blanc, doublant en maugréant les nombreux « touristes », et l’aiguille de l’M par la NNE, en solo s’il vous plait. J’en ai 17, et je sors d’une bien mauvaise saison. Aucun de nous deux n’a l’expérience requise pour ce genre d’ascension, que Pierre avait tout d’abord envisagé de faire seul. Mais une amie commune a vanté, l’ignorante, nos mérites respectifs, et nous voilà réunis, chacun comptant - sans le dire ! - sur l’autre pour l’emmener « en haut ».

Il est temps pour Pierre d’attaquer la deuxième longueur : des gradins, puis un dièdre dont on s’échappe à droite par un rateau de chèvre. Là encore, il décide de rectifier l’itinéraire : ça doit passer tout droit.

Pierre, cher Pierre… pourquoi se poser tant de question ? Des générations d’alpinistes ont humblement contournés l’obstacle, se sont bornés à suivre les premiers ascensionnistes, qui n’étaient tout de même pas des manches. Regarde l’équipement des autres cordées. Pour chaque individu, il y en a bien pour 3 ou 4 mois de ta maigre retraite… Et ils sont jeunes. Et ils sont bronzés. Et, &?§#@!! de &?§#@!, ils CONTOURNENT l’obstacle ! Sois raisonnable, Pierre, on en est qu’à la deuxième longueur, il nous reste 1000m à faire, s’il te plait Pierre, passons au plus simple…

Finalement, et après un bref combat ponctué de jurons, Pierre contourne. Quand je le rejoins, je le sens déçus et résigné. La preuve : il me demande de prendre la tête. De toute façon, ça se couche déjà, et nous pouvons progresser à corde tendue. Je note tout de même qu’il va droit dans le rocher là ou je fais de respectueux détours. « Belle dalle », me dit-il, à la prochaine pause. Evidemment, la dalle, je ne l’ai vue que de loin… Sans doute me trouve t’il un peu pleutre. Il n’empêche : c’est sous ma direction que nous sortons, et presque à l’heure (ça n’est pas dans mes habitudes), de la partie rocher.

Reste la glace…

Et hop, c’est l’heure du repas. Une bonne truite. Mais c’est pas moi qui l’ai tuée, juré ! Tiens ? A quand un sujet pêche sur c2c ?

Posté en tant qu’invité par public en délire:

Clap clap clap clap…
Bis !
Une autre !
Fabuleux, bravo, quel talent !

On dirait du Chateaubriand.

En mieux.

Posté en tant qu’invité par l’Urbain:

Bon, ok, puisque vous insistez, voici la fin. C’est pour vous faire plaisir, hein !

Et puis aussi, le psychiatre, il a dit que ça me faisait du bien.

Allez, accrochez vos ceintures, fermez les yeux (j’en sais rien, moi, demandez à votre femme de lire), mettez un CD de Pink Floyd (The piper… voire Umma Gumma, le deuxième disque) ou d’Yvette Horner (son fameux « If you want blood, you’ve got it »), attention, c’est partis…

Reste la glace, donc. Mais avant, une pause bien lugubre. C’est tout le problème des pauses en pleine paroi. On se détend, on médite face au paysage, et fatalement, on en arrive à se poser la question maudite, celle qui fait tout le sel de l’alpinisme : qu’est-ce que je fous là, comment vais-je m’en sortir ? Et dire que personne ne m’a obligé, que je me suis moi-même mis dans la m… Comment en suis-je arrivé à avoir ENVIE de venir dans ce coin qui, même vu de loin, fout la pétoche ? Suis-je normal ? Pourquoi ne pas se mettre au golf ? Ces questions sont d’autant plus critiques que je n’ai aucune idée de la façon dont il faut s’y prendre dans ce type de terrain. J’ai bien 3 broches, mais je ne m’en suis jamais servis (enfin si : pour épater les amies…), et je réalise un peu tard que 3 broches, ça fait une au relais du bas, une au relais du haut, et une entre les deux…

Nous repartons. Courte arête pèpère d’abord, puis la seconde, qui se redresse, avant de se perdre dans un toboggan de glace noire. On arrive au point ou il faut traverser à droite, il est temps de faire un premier relais. Marrant, la pose des broches. Y’a de la neige pilée qui ressort par le petit trou, je me ferais bien un petit coktail.
Evidemment, personne ne veut entamer la traversée. Cette glace d’août est poreuse : au premier coup de piolet, ça part en fines plaques, au deuxième coup, c’est dur comme du béton. Bon, je m’y colle : c’est moi qui ai le meilleur piolet (un vieux truc qui fonctionne bien, heureusement, le deuxième est un piolet rando). Proprement effarant, cette traversée : dessous, en cas de chute, c’est vraiment le grand plongeon. Avec un peu de chance, on arrivera excactement sur la gare du téléphérique. J’imagine la tête des Japonais.

On fait comme on a dit : une broche à mi-course, une autre à bout de corde. Et Pierre repart en diagonale. Quand je le rejoins, non seulement il commence à se faire tard (on risque de rater la dernière benne), mais nos mollets sont en feu. Ma cheville, mal remise de l’entorse, commence à se faire remarquer. Pierre insiste pour faire à nouveau du corde tendue, je n’ose protester. Je repars donc sans attendre.

Corde tendue, corde tendue… C’est vite dit ! L’animal m’a laissé aller en bout de corde, mais maintenant, il cavale. La corde fait une belle courbe, qui ne cesse de croïtre. Au point où on en est… Et puis, au moins, on est solidaire : si l’un de nous déconne, l’autre sera punis aussi.

Curieusement, dans ces moments là, on a pas peur. L’ivresse des profondeurs, peut-être. Ou l’inconscience. Ou la fatigue. Ou un peu de tout ça. L’esprit tourne en boucle, répète sans arrêt la même rengaine, et puis finalement, la ferme. De la méditation, je vous dis…

Après un petit passage mixte (j’adooore), je sors enfin de ce foutu traquenard. Décompression. Enfin, pas tout à fait : si Pierre dévisse, et vu qu’il y a bien 15m de mou, je vais y retourner vite fait. Peur panique. J’ai pas les broches. Je plante le piolet qui fera guise de relais (dérisoire…) et avale comme un fou. Tiens ? La corde se tend déjà. L’est redescendu, Pierrot ? J’attends, et ré-essaie : toujours rien. Rebelotte : toujours rien. Bon Dieu, faites qu’il ne soit pas coincé, je n’ai aucune envie d’aller le chercher… J’essaie en vain de me souvenir des rares prières qu’on à réussis à enfoncer dans mon crâne réfractaire. Notre Père qui êtes aux cieux, heu, je vous ai toujours trouvé très sympa (bien qu’un peu distant, mais bon, je suppose que vous avez d’autres pénitents à fouetter), et, comment dire, j’aimerais bien vous rencontrer, mais, s’il vous plaît, est-ce qu’on ne pourrait pas remettre à un autre jour ? Amen.

J’attaque à peine le Sainte Marie (mieux vaut tous se les mettre à la bonne, on ne sait jamais, c’est peut-être un système matriarchal, là haut), quand je vois surgir, tout sourire, le Pierre… décordé ! Il m’explique rapidement que la corde est coincée, rien à faire, enfin si t’y tiens, t’as cas aller la décoincer, après tout c’est ta corde (toute neuve, 1200F, des mois d’économie et de rapines, je suis bien punis).

Puis il se jette dans mes bras. J’en ai encore les larmes aux yeux. Ce petit gars, émus, dans mes bras, bon sang, ce que c’était bon !

Les effusions passées, ce diable repart à fond de ballon, met 5 minutes là où j’en met 10… Heureusement, c’est comme ça qu’on l’a eu, la dernière benne !

Dans le téléphérique, on est tout seul avec le technicien. Alors, il y va de sa petite histoire :
« Quatre espagnols aujourd’hui. Ils sont partis, encordés, faire un tour sur l’arête. Et puis, je sais pas ce qui c’est passé, soit que y’en a un qui est parti pisser, soit qu’ils se sont un peu trop penchés… Et zou ! Voilà toute la brochette qui part en glissade côté nord. J’ai tout vu. Ils se sont écrasés contre la lèvre de la rimaye, en bas du gacier suspendu. »

Voilà l’explication : quatre personnes.

Aujourd’hui, la face nord avait assez bouffé.

Posté en tant qu’invité par Loïc P.:

Excellent !
Bon alors il sort quand ce recueil de nouvelles c2c, avec les meilleurs récits de Francois, Catherine, l’Urbain,… sans parler de qq magnifiques CR dans le topo-guide (je pense à ceux de Rozenn, ou au fameux Grépon-Mer de glace en 53h par Clément Cabanac) ?
Déjà si on pouvait mettre un lien qui répertorie tout ça qq part sur la page d’accueil de c2c pour éviter que ça se perde dans les profondeurs du forum, ça serait top !

Merci aux auteurs :slight_smile:

Loïc

Posté en tant qu’invité par Francois:

Dis donc, l’Urbain, je t’ai à l’oeil!

Tu veux me piquer mes lecteurs, j’ai compris… mais je n’ai pas dit mon dernier mot.

Posté en tant qu’invité par Voix d’outre tombe:

public en délire a écrit:

Clap clap clap clap…
Bis !
Une autre !
Fabuleux, bravo, quel talent !

On dirait du Chateaubriand.

En mieux.

Mais ma parole! on pense toujours à moi! on ne m’a pas oublié…

J’en suis tout retourné (si je puis dire).

Posté en tant qu’invité par papy_ours:

miam …

ça donne envie de quitter son écran pour aller se perdre dans ces montagnes un peu trop lointaines !

merci aux courageux -euses qui nous nous mitonnent de bonnes petites histoires pour les soirées d’hiver

Posté en tant qu’invité par L’Urbain:

Francois a écrit:

Dis donc, l’Urbain, je t’ai à l’oeil!

Mince. Je vais changer de pseudo.

Tu veux me piquer mes lecteurs, j’ai compris…

Je cherche à créer une saine émulation. Les histoires des autres, ça m’intéresse au plus haut point (même si tout le monde n’a pas ton style, cher Franck Ouah). En arrivant sur c2c, je pensais trouver plus de récits. Mais l’alpiniste est taciturne, ça fait plus mieux.

Et puis je t’avais prévenus : tant que Martine erre quelque part entre le plan de l’aiguille et le Peigne (depuis le temps, elle doit en être au Pélerins, la pauvrette), je continue…

mais je n’ai
pas dit mon dernier mot.

On espère bien !

Posté en tant qu’invité par catherine:

l’Urbain a écrit:

> Bon, ok, puisque vous insistez, voici la fin. C’est pour vous faire plaisir, hein !
oh oui ! ça nous fait plaisiiiiir :slight_smile:

> Et puis aussi, le psychiatre, il a dit que ça me faisait du bien.
C2C devrait être remboursé par la sécu !

> Aujourd’hui, la face nord avait assez bouffé.
ben c’est malin, je vais faires des cauchemars…
en tous cas, le Pierre, quelle santé !
dis, le télé, c’est celui de l’Aiguille du Midi à Chamonix ?

allez, encore une histoire !!!
avec des grosses peurs, des cordes coincées et des super prières !

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par L’Urbain:

catherine a écrit:

dis, le télé, c’est celui de l’Aiguille du Midi à Chamonix ?

Banco !
Et la voie, Catherine, c’est laquelle ? A priori, on la voit bien, du sommet de l’Index…

allez, encore une histoire !!!

Oui Catherine : encore une histoire… Tu t’y es remis ou bien ? On attend.

avec des grosses peurs, des cordes coincées et des super
prières !

Dans ce genre là, je n’en ai pas tant que ça. Une demi douzaine, au mieux (j’ai appris sur le tas…). Je m’y met dès ce soir.

Posté en tant qu’invité par Voix d’outre tombe:

Allez, je dirais le Frendo…

Posté en tant qu’invité par L’Urbain:

Voix d’outre tombe a écrit:

Allez, je dirais le Frendo…

Du premier coup. Pas mal, pour un mort.

Posté en tant qu’invité par pierre:

Eh, Franck Wha, déconne pas : les malveillants à ton endroit sont ultra, ultra minoritaires sur ce site.
Alors, il ne faut pas déprimer comme ça.
Il n’est pas temps de rédiger tes mémoires, surtout de là où tu nous dit être !
Tu ne peux tout de même pas abandonner Martine dans la piètre situation où elle est maintenant.
Alors, sort de là !
S’il te plait.

PS : Merci et bravo a l’Urbain. Excellent récit, dont je vois plutôt les références vers Woody Allen -entre autres- que vers Chateaubriand !
Et prend cela pour ce que c’est : un fichu compliment.