Bécassine au sommet des Alpes (deuxième partie)

Posté en tant qu’invité par Marmotte qui flotte:

Que diable était-elle venue faire dans cette galère ? Absente intérieurement mais ô combien physiquement présente, Bécassine tomba à genoux d’épuisement sur l’Arête des Bosses (4700 mètres), la dernière épreuve pentue destinée, semblait-il, à achever l’alpiniste débutant en lui coupant les jambes avant le sommet. « Relevez-vous! » Le Rouge n’avait pas l’air trés patient et elle fut obligée d’obtempérer en serrant les dents et en maudissant in petto son guide pour éviter d’être figée par le froid. L’heure n’était donc plus au renoncement, puisque de manière incompréhensible, ils avaient finalement atteint l’arête sommitale. Elle était obligée de tenir, on ne pouvait câler 300 mètres avant l’arrivée et pourtant ces ultimes 300 mètres dans le vent glacé qui cinglait, ils allaient mettre presque plus de 40 minutes pour les parcourir…Elle commençait à ressentir en elle-même les descriptions d’alpinistes en proie à l’engourdissement avant les gelures, qu’un vieux Chamoniard lui avait généreusement mises en tête quelques jours auparavant. A n’en pas douter, son cerveau s’embrûmait et elle n’allait pas tarder à basculer dans une symptômatique perte de lucidité .
Mais soudain la marche s’interrompit, elle se demanda bien pourquoi tant elle avait froid… Le Rouge et Frison-Roche la félicitèrent solennellement, ce qui parut à Bécassine, dans ces circonstances, tout à fait incongru. Elle en resta interdite, plantée, terrassée par l’arrêt de l’effort, n’ayant même plus la ressource réactive de sourire ou d’effectuer un demi-tour sur elle-même pour identifier le Cervin; sa seule aspiration consciente était de redescendre au plus vite pour se mettre à l’abri du vent.
Sa volonté qui l’avait conduite au sommet malgré son manque d’entraînement la sidérait. Le doute l’avait pourtant habitée jusqu’à ce que l’importance de l’effort à fournir ne lui permît plus de distraire quoi que ce soit de la mobilisation de son être. L’état de complète hébétude dans lequel elle se trouvait témoignait décidément de la faculté humaine à s’adapter à des conditions d’une hostilité plus qu’extrême.
Elle allait mettre un temps certain à assimiler la radicalité de cette asphyxiante expérience. Pour le moment, il s’agissait de redescendre.
Avec le relâchement relatif de la tension paroxystique qui a maintenu le corps dans l’effort pendant quelques heures, c’est l’euphorie qui commence à apparaître, permettant un regain d’énergie malgré l’intense fatigue. Tout le corps est douloureux musculairement mais survolté par le sentiment de réussite. En perdant de l’altitude, le froid s’atténue progressivement. Apre et comme raréfiée, la vie peut s’éprouver alors brièvement dans une intensité joyeuse. Bécassine lui en était confusément reconnaissante, d’être revenue de si haut, de si loin dans l’effort et dans le froid; ses limites repoussées à un degré inconnu jusqu’alors; la découverte de ce qu’elle avait été capable de s’imposer. Surprenante phase de décompression aprés l’ascension;
elle osait à peine s’approprier le dépassement d’heures démesurées. Cela, profondément, en valait la peine… Autour d’elle, l’immensité blanche et indifférente trônait toujours, le trop lumineux environnement demeurait intimidant de splendeur. Ce lieu majestueux était bizarrement le même que celui où elle s’était immiscée avec ces compagnons dans la nuit. Mais le repère temporel interne perturbé indiquait une évolution de l’inhumain paysage
dont l’évaluation échappait aux facultés amoindries du moment; la stupeur, telle une solide digue, dominait encore le flot corrosif des émotions contradictoires. Celui-ci ne pourrait se déverser qu’une fois de retour à Chamonix, l’épreuve de survie achevée.
En proie à une indémêlable ambivalence de sentiments trop lourds après une telle tension nerveuse, Bécassine, redescendue dans la vallée, s’abandonna pendant trois jours au réconfort brûlant des larmes en contemplant le Mont Blanc d’en-bas. La descente brutalement effectuée, la dépression de la volonté se manifestait dans un relâchement concommittant à l’élan déjà nostalgique pour le sommet. Bécassine se sentait à présent semblable à un vieux caoutchouc étiré se retrouvant en sous-tension. Elle comprenait mieux le besoin viscéral qui poussait les guides à remonter si vite vers les hauteurs, le risque constitutif de l’aimantation pour toujours plus d"engagement". Notre héroïne, de nature pourtant peu encline au mysticisme, avait eu l’impression d’entrevoir une part du Mystère de l’Attraction Alpine…

In petto ???

:lol::lol::lol:

[quote=Aurore][/quote]
Ben oui… in petto.

C’est à dire… euh… ça veut dire quoi, in petto, au fait?

Bhoulà, voici qu’in petto revient à la mode, et pas qu’une fois tiens …

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:wink: