Synthèse pour les Assises de l’alpinisme
Synthèse réalisée à partir de quinze cafés montagne (Alpes et Pyrénées), de plusieurs contributions spontanées d’alpinistes, ainsi que d’une cinquantaine de réponses au questionnaire déposé dans différents refuges des Alpes, et du forum de discussion sur le site camptocamp.
1 Qu’est-ce que l’alpinisme ?
Pour beaucoup d’intervenants, l’alpinisme se définit par deux composantes : un milieu spécifique, et un état d’esprit.
Le milieu spécifique, c’est “au-delà du sentier”, là où il n’y a pas (ou peu) d’équipement. L’isolement géographique est souvent cité comme un facteur clé de l’alpinisme. La neige, la glace, le rocher représentent un milieu somptueux, mais hostile à l’homme, et la connaissance de ce milieu est primordiale. L’altitude ne semble pas un critère pertinent pour définir l’alpinisme, car en Écosse, on fait vraiment de l’alpinisme, mais pas dans des voies équipées en haute montagne.
Pour appréhender ce milieu, il faut un matériel et des techniques spécifiques. Corde, piolet, crampons sont parfois cités comme des éléments indispensables à l’alpinisme, mais pas suffisants. En effet, le client d’un guide (qui utilise donc corde, piolet et crampons) est-il alpiniste ? Beaucoup pensent que non, car l’alpinisme renvoie aussi à un état d’esprit (autonomie… voir paragraphe suivant). De même, la technicité et la force physique ne sont pas suffisantes pour définir un alpiniste, puisqu’un très bon rochassier n’est pas forcément alpiniste.
L’état d’esprit renvoie tout d’abord à la notion d’autonomie : savoir trouver son chemin et progresser en sécurité par ses propres moyens. Cela est lié à la notion d’engagement et de risque, indissociable de l’alpinisme, avec une sanction (parfois définitive) en cas de chute. Dans l’alpinisme, on met sa vie en jeu. Beaucoup évoquent la liberté : de choisir son objectif, les moyens pour y parvenir, son itinéraire, et le degré d’engagement que l’on souhaite. Et aussi l’incertitude, l’aventure.
Pour toutes ces raisons, l’alpinisme représente donc une rupture avec la “vie d’en bas”, et notamment avec une société qui refuse le risque et la mort. L’alpinisme renvoie à un modèle de vie sobre, une logique de dépouillement (économie de moyens, pour rester léger), aux antipodes de la société de consommation. “On se rapproche de ce qui est vrai”.
L’alpinisme renvoie à la solitude, au silence, au ressourcement. Mais aussi, sans que ce soit contradictoire, au partage et à l’amitié, avec la très grande importance de la cordée : la corde comme lien moral entre le premier et le second de cordée. Certains affirment que des qualités humaines sont indispensables en montagne. D’autres soulignent la dimension spirituelle de la montagne. Certains parlent d’humilité nécessaire face à la nature, tandis que d’autres pensent que la fierté n’est pas absente. Le respect de la nature est souvent cité.
L’effort est bien entendu indissociable de l’alpinisme, mais l’alpinisme n’est pas à proprement parler un sport. C’est au-delà d’un sport. La notion de passion revient souvent, de même que l’aspect école de vie.
L’alpinisme s’inscrit dans la durée. D’une part, l’expérience, qui permet d’être autonome, s’acquiert avec le temps. D’autre part, on est relié avec les prédécesseurs, le côté historique et culturel (la culture montagne) a beaucoup de poids.
Ceci dit, certains intervenants notent une évolution dans la façon de pratiquer l’alpinisme, en club ou avec un guide, et la déplorent. Auparavant, la pratique en club avait pour but la recherche d’autonomie. Aujourd’hui, il s’agit seulement de faire des sommets : c’est bon pour son ego et pour son image personnelle. C’est une approche plus consumériste. Certains guides remarquent une évolution semblable. On passe d’une culture de formation à une culture de performance.
L’apparition d’Internet va dans le même sens. Les sites qui décrivent les conditions de la montagne sont très consultés. Ils ne participent pas à l’autonomie des montagnards. Exemple : un itinéraire décrit le samedi est beaucoup plus fréquenté le dimanche. Pourtant, certains considèrent que le côté communautaire d’Internet, très à la mode, peut donner une image plus positive de l’alpinisme et contribuer à sa démocratisation.
Pour cerner l’alpinisme, il faut aussi définir quelles sont les pratiques qui peuvent s’en revendiquer : ski de rando, compétition ? Là, les avis sont très partagés. Le ski de rando, pour certains, n’est pas de l’alpinisme, sauf sur glacier. La notion de cordée n’existe pas, on peut partir avec quelqu’un qu’on ne connaît pas en ski de rando, mais pas en alpinisme. Le terme de “ski alpinisme” serait juste une classification destinée à la compétition, pour ne pas que cela dépende de la fédération de ski. D’autres font remarquer qu’en ski de rando, il y a un seul risque à gérer (l’avalanche), mais qu’il est bien plus complexe que les autres. En terme de risque, d’engagement, d’autonomie (sauf pour les courses très fréquentées), le ski de rando peut être considéré comme de l’alpinisme.
La compétition, en revanche, n’est pas de l’alpinisme pour la plupart des participants. En effet, il n’y a pas de recherche d’itinéraire, pas d’autonomie, juste une condition physique à avoir. L’alpinisme n’est pas compatible avec le grand nombre, ni avec une sécurisation du milieu. Quand on ne se confronte pas à la nature, mais à ses semblables, ce n’est plus de l’alpinisme. Par ailleurs, la compétition tendrait à banaliser la montagne, en la rendant accessible et facile. Certains, bien moins nombreux, pensent le contraire. Les compétiteurs, pour avoir une super condition physique, sont obligés d’aller souvent en montagne, ce sont donc des montagnards. D’autre part, la compétition de ski alpinisme a fait évoluer le matériel vers davantage de légèreté, donc c’est positif. Et la médiatisation des compétitions permet une promotion des activités montagne, sinon, on en parlerait peu, sauf en cas d’accident.
2 Comment transmettre le goût de l’alpinisme ?
Certains participants s’interrogent sur la pertinence de cette question : pourquoi l’alpinisme et pas une autre activité ? Par rapport aux jeunes notamment, quel risque est-on est prêt à accepter pour ses propres enfants ? Certains guides essaient justement de ne pas transmettre le “virus de l’alpinisme” à leurs enfants, pour cette raison.
Pourtant, les valeurs d’autonomie, de responsabilité, de solidarité, de sobriété semblent importantes à diffuser, auprès des jeunes comme des adultes.
Certains estiment que l’escalade, voire même les via ferrata, peuvent représenter un premier pas vers la montagne, et donner l’envie d’aller plus loin. D’autres pensent que ce n’est pas le cas, car ces activités se déroulent en milieu aménagé, le contraire de la montagne, et produisent des assistés. Les avis sont très divergents à ce sujet.
Les “écoles d’aventure”, comme le Caf ou la FFME, ont un rôle à jouer (stages pour les jeunes…). Pourtant, peu de pratiquants appartiennent à un club ou une fédé, donc leur rôle est forcément limité. Certains affirment que les institutions de la montagne sont rejetées, notamment car elles sont perçues comme uniquement préoccupées par la compétition. Leur discours est parfois considéré comme “vieillissant, peu séduisant”. De plus, les gens qui viennent en club ont davantage une logique de consommation que de progression vers l’autonomie (voir plus haut). Peut-être les clubs devraient-ils davantage essayer de transmettre une culture montagne ?
La remarque est également valable pour les guides, qui “pour faire passer des valeurs, devraient sans doute passer plus de temps en montagne avec les clients”, analyse un guide. Une attitude inverse de celle qui consiste à laisser le client dormir seul en refuge, et à le rejoindre uniquement sur le lieu de la course, avant de redescendre le plus vite possible !
Par ailleurs, la prise de responsabilité avec des jeunes devient de plus en plus compliquée. Ce qui ne facilite pas l’accès à la montagne, par exemple dans le cadre scolaire.
La question de l’accessibilité financière est également abordée : le matériel coûte cher, de même que les nuits en refuge, et l’encadrement. Cela peut représenter un frein pour certains, notamment les jeunes.
Autre frein pour les jeunes : ils veulent souvent accéder au plaisir tout de suite (culture de l’immédiateté). Cela est incompatible avec la montagne, qui demande du temps et des efforts. Le VTT est parfois considéré comme une façon ludique de découvrir la montagne, avant peut-être de se tourner vers l’alpinisme.
3 Que faudrait-il demander ou revendiquer ?
La présence de deux fédérations conduit à une dispersion et une perte de poids face au législateur. De plus, ces fédérations sont peu représentatives, vu le nombre de licenciés et les critiques qu’elles suscitent (voir plus haut).
D’où l’utilité de ces Assises, pour faire émerger un certain nombre de revendications, qui ne sont pas forcément portées par les institutions de la montagne.
Une revendication semble réunir la plupart des participants : le souhait que la montagne ne soit pas plus réglementée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Toute réglementation supplémentaire serait vécue comme restreignant l’espace de liberté. “ Nous voulons garder la liberté de pratiquer, et de pratiquer gratuitement”. Cela va bien entendu à l’encontre de la société qui recherche l’absence d’accident, éventuellement à coup d’interdictions. La gratuité des secours semble aussi faire l’unanimité des montagnards.
La réglementation existante représente un frein à la pratique des jeunes en groupe, donc elle devrait être assouplie sur ce sujet.
Sur la question de l’équipement, les alpinistes se retrouvent dans l’idée qu’il est important de stopper la fuite en avant des stations de ski, qui grignotent de plus en plus d’espace. En revanche, pour ce qui concerne l’équipement plus soft de la montagne (spits par exemple), les avis sont très partagés. Certains considèrent qu’il faut garder le statut quo actuel, et ne pas ajouter d’équipement supplémentaire en haute montagne, qu’il y en a déjà beaucoup. D’autres affirment que toutes les pratiques sont complémentaires (“il ne faut pas hiérarchiser”), et que ceux qui veulent des terrains vierges n’ont que l’embarras du choix. Certains se disent favorables à un peu plus d’équipement, pour rendre la montagne plus accessible, sans la dénaturer. Un guide lance : “Si on enlève le câble à la Meije, il n’y a plus un seul amateur”. Donc vraiment pas d’unanimité sur ce sujet.
Quant aux refuges, la majorité des alpinistes estiment qu’ils ne doivent pas devenir des hôtels d’altitude, ce qui est la tendance actuelle. S’ils étaient un peu moins confortables, ils seraient moins chers. D’autres supposent, en revanche, que des refuges plus confortables peuvent rendre la montagne plus accessible, moins élitiste, et donc que cela va dans le bon sens.
La réglementation, identique pour les refuges et les hébergements de plaine, ne semble pas du tout adaptée. Il faudrait assouplir cette réglementation sur les refuges, considérée comme une aberration.
L’accueil dans les refuges est critiqué : si le client n’est pas prêt à dépenser beaucoup, il n’est pas forcément bienvenu. Il faudrait conserver dans les refuges des salles hors-sacs de qualité, et soigner l’accueil qu’on y reçoit.
Les questions environnementales font également débat, même si tous se disent attachés à l’environnement. Une réglementation est vécue comme positive, celle qui interdit les engins motorisés. Elle devrait d’ailleurs être davantage respectée. Le bruit est en effet incompatible avec le ressourcement que l’on vient chercher en montagne.
Les parcs nationaux ne sont pas perçus de la même façon par tous. Une majorité estiment qu’ils vont dans le même sens que les alpinistes, contribuant à freiner les désirs d’expansion des stations. Certains soulignent tout de même le risque que la montagne devienne un sanctuaire, dans lequel tout serait interdit. Attention, disent-il, les Parcs peuvent amener des restrictions des pratiques. Il faudrait trouver des solutions au cas par cas (nidification par exemple), comme cela se fait déjà parfois, et non pas tout interdire.