Je tente de coller ici mon second texte de nouvelle tentative d’explication à ceux qui ont du mal à lire.Rob,
Décidemment ça part mal ! Dès ton « résumé » de mes thèses tu réaffirmes que je défini l’alpinisme par son rapport à la mort et tu le « prouves » en me citant : « L’essence de l’alpinisme » : « J’en viens donc à ma thèse : l’essence des pratiques liées à la montagne et recourant à l’escalade en tant que technique de progression […], c’est leur rapport à la mort ». Je le répète donc, le « rapport à la mort » n’est pas une définition de l’alpinisme (essence ne veut pas dire définition), c’en est une caractéristique essentielle. Si on escaladait les montagnes sans ce risque, on ferait une activité qui ne serait pas celle qui s’est développée sous le nom d’alpinisme depuis 250 ans. Je n’ai donc jamais cherché à produire une définition de l’alpinisme mais à réfléchir sur les évolutions qui ont marqué le milieu alpin depuis plus de trente et qui se sont traduites par l’apparition de l’escalade sportive, dont je maintiens qu’elle ne serait pas arrivée si l’équipement sur spits n’avait pas été généralisé dans de nombreuses falaises. C’est ça que je développe dans mon livre et pas une classification des activités qui n’a pas d’intérêt pour répondre à cette question. Il y a de multiples formes de pratiques qui utilisent l’escalade au sens ou « escalade » consiste à « gravir une paroi plus ou moins raide ». En faire l’inventaire n’est pas inintéressant mais cela n’aide pas à comprendre l’émergence de l’escalade avec spits. Ma distinction par le « rapport à la mort » est conceptuelle et pas descriptive. Spinoza nous a appris que « le concept de chien n’aboie pas » et par cette distinction j’essaie de comprendre les logiques à l’œuvre dans les deux pratiques, l’alpinisme et l’escalade sportive. Il me semble qu’une grande partie du refus de mes thèses vient de ce que tu te places justement sur le plan des pratiques réelles et pas de la réflexion conceptuelle. Quand je dis « escalade » tu vois les diverses formes de pratiques qui existent alors que pour moi j’utilise ce mot comme un CONCEPT désignant les activités où le rapport à la mort est consciemment réduit au maximum. On peut me reprocher d’utiliser un mot existant dont l’usage a été fixé, pour conceptualiser une activité nouvelle, mais il m’a semblé que le nombre de pratiquants de cette activité nouvelle, QUI NE FONT QU’ELLE, sont suffisamment nombreux pour que cette appellation ne soit pas trop en décalage avec le sens habituel où on comprend le mot. L’escalade clean est une pratique tout à fait recommandable mais elle exige des connaissances (placement des protections) qui sont complètement inutiles pour tout ceux qui ne font que de l’escalade avec des spits. Et ces connaissances sont nécessaires pour ne pas risquer la mort, d’où l’évidence d’un rapport à la mort dans l’escalade clean qui la range dans la logique de l’alpinisme. Que du point de vue de la motricité, de la technique de progression, des gestes, l’escalade clean soit de l’escalade au sens classique c’est évident, mais conceptuellement c’est une autre activité que l’escalade avec des spits et tous ceux qui ne pratiquent que cette dernière le savent très bien. De ce point de vue tu as raison dans ton reproche sur le friend comme « preuve » de la nouveauté de l’escalade au sens où j’en parle (mais pas « aile de poulet » qui est un geste qui apparaît avec la pratique du libre à vue). C’est une invention nouvelle qui reste dans l’alpinisme, mais l’essentiel du vocabulaire dont je parle est bien dû à cette escalade nouvelle.
Il me faut aussi te répondre sur tes craintes que mes thèses font courir à votre pratique. Crainte bien vaine parce que ce n’est évidemment pas un livre qui va changer quoi que ce soit aux transformations qui se sont opérées depuis plus de trente ans dans notre milieu alpin. Je suis sûrement plus responsable de cette évolution avec mes camarades de la FSGT quand nous avons créé Hauteroche (en 1974 !), la première falaise moderne équipée à demeure pour tous les niveaux, que par ce livre qui ne fait que réfléchir sur un mouvement existant. Mais prenons cette crainte au sérieux un instant. Selon toi ma « thèse se réfugie dans une vision étriquée de l’escalade ayant comme seul support le spit et comme seule issue la disparition des notions d’exposition (danger de blessure ou de mort) et d’engagement (nécessité d’une gestion du mental). C’est m’attribuer encore une fois une vision normative. Ta description de « ma thèse » coincide avec son contenu conceptuel et tu reconnais donc que l’escalade avec des spits revient à faire disparaître les notions d’exposition (tu précises danger de mort) et d’engagement. Effectivement c’est bien ça l’escalade qui se développe aujourd’hui (même si « l’engagement » demeure, bien qu’évidemment très différent de celui de l’alpinisme où il désigne de façon euphémisée un risque de mort). Et ça n’a rien d’« étriqué » ! Sauf à considérer ses pratiquants du haut de ta conception à toi de ce que devrait être la pratique. Il reste le conflit d’usage et je suis d’accord avec toi pour reconnaître qu’il existe et qu’il faut le gérer. C’est pourquoi je suis pour toutes les formes de pratiques. Car finalement ce que tu fais c’est précisément de défendre une manière légitime de pratiquer (que je ne remets pas en cause mais qui n’est pas plus légitime qu’une autre) qui fait de l’escalade telle que je la comprends un « tremplin » à cette forme noble qu’est le grand alpinisme. Que « des jeunes venus de l’escalade avec un fort niveau, pratiquants de couenne et résine, qui ont commencé par pratiquer des voies d’escalade sur spit plus engagées, avant de pratiquer le clean, le trad, et aujourd’hui l’alpinisme de haut niveau » existent c’est tant mieux, mais cela ne contraint pas ceux qui (bien plus nombreux ne font que de la couenne et de la résine (et bientôt que de la résine) à pratiquer une activité de second rang. Et quand tu écris dans ton récit de course « Une ligne pareille, « qui a de la gueule » et évidente, j’ai du mal à croire qu’elle n’ait pas encore été parcourue et que les gens aillent s’entasser à trente 100m plus loin dans le col du Grand Van », tu marques bien ton incompréhension (teintée d’un certain mépris) de ce que « tant de gens » ne fasse pas comme toi. Et oui, il faut t’y faire, ta pratique n’est pas meilleure que celle des autres, ces « tant de gens » qui font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’ils ont pour vivre du mieux possible. Que le développement de ce que j’appelle l’escalade ait permis cette nouvelle pratique ne doit pas nous attrister, mais au contraire nous réjouir que « tant de gens » se retrouvent en montagne.
Au fait je ne suis pas le cousin d’Hitler