Posté en tant qu’invité par nico:
"Pour faire de l’alpinisme il faut deux choses: de l’enthousiasme et de la lucidité.
Accepter de porter un sac, de dormir plus ou moins bien dans un refuge, parfois à un bivouac, d’avoir faim, sans doute d’avoir soif, partir en sachant que l’on ne pourra pas arrêter le jeu, c’est à dire l’ascension, si tout à coup on en a assez, soit que l’on soit fatigué, soit que le temps devienne mauvais, être tributaire d’un compagnon qui peut-être marchera moins bien,-bref quitter un confort et des habitudes, c’est cela l’enthousiasme. C’est un beau sentiment, surtout à notre époque qui oublie de plus en plus que l’on a des muscles et une tête qui ne demandent qu’a servir, et dont leur belle fatigue nous procure une paix, et même une allégresse intérieures. Marcher, grimper, n’est pas du tout un sacrifice, mais l’accomplissement d’une action pour laquelle chacun a, à sa naissance, reçu naturellement ce qu’il faut et qui procure un sain
plaisir. Et en dehors de l’action, il n’est après tout ni si dur ni si désagréable d’avoir faim ou froid à un moment. A une époque où tout est de plus en plus prévu, programmé, organisé, pouvoir se perdre sera bientôt un délice et un luxe exceptionnels.
Tout autant que de l’enthousiasme, il faut de la lucidité. Ces deux sentiments apparemment contraires se complètent magnifiquement. La lucidité c’est apprendre à bien connaître ses limites, tout en cherchant à les reculer, et les accepter, c’est à dire avant la course ajuster des désirs d’ascension à sa compétence et à celle des membres de sa cordée ; pendant la course, être capable à tout moment de faire le
point, honnêtement, ce qui est difficile, car il faut alors écarter tout sentiment, toute passion, toute envie de réussir à tout prix pour faire le rapport précis entre les difficultés (éventuellement les dangers) évaluées au plus juste des passages qui restent à gravir et les forces (muscle et tête) de la cordée, afin de décider si l’on peut, si l’on doit continuer ou faire demi-tour. Extraordinaire et merveilleux examen dans le secret de
son coeur où la prudence risque parfois de n’être qu’un aspect de la lâcheté, et l’entêtement à poursuivre qu’une stupide et dangereuse déformation de la volonté. »
Monsieur Gaston REBUFFAT
Cela se perd comme mentalité, vous ne trouvez pas…? Pourtant il a absolument raison je trouve.