Ah Gaston

Posté en tant qu’invité par nico:

"Pour faire de l’alpinisme il faut deux choses: de l’enthousiasme et de la lucidité.

Accepter de porter un sac, de dormir plus ou moins bien dans un refuge, parfois à un bivouac, d’avoir faim, sans doute d’avoir soif, partir en sachant que l’on ne pourra pas arrêter le jeu, c’est à dire l’ascension, si tout à coup on en a assez, soit que l’on soit fatigué, soit que le temps devienne mauvais, être tributaire d’un compagnon qui peut-être marchera moins bien,-bref quitter un confort et des habitudes, c’est cela l’enthousiasme. C’est un beau sentiment, surtout à notre époque qui oublie de plus en plus que l’on a des muscles et une tête qui ne demandent qu’a servir, et dont leur belle fatigue nous procure une paix, et même une allégresse intérieures. Marcher, grimper, n’est pas du tout un sacrifice, mais l’accomplissement d’une action pour laquelle chacun a, à sa naissance, reçu naturellement ce qu’il faut et qui procure un sain
plaisir. Et en dehors de l’action, il n’est après tout ni si dur ni si désagréable d’avoir faim ou froid à un moment. A une époque où tout est de plus en plus prévu, programmé, organisé, pouvoir se perdre sera bientôt un délice et un luxe exceptionnels.

Tout autant que de l’enthousiasme, il faut de la lucidité. Ces deux sentiments apparemment contraires se complètent magnifiquement. La lucidité c’est apprendre à bien connaître ses limites, tout en cherchant à les reculer, et les accepter, c’est à dire avant la course ajuster des désirs d’ascension à sa compétence et à celle des membres de sa cordée ; pendant la course, être capable à tout moment de faire le
point, honnêtement, ce qui est difficile, car il faut alors écarter tout sentiment, toute passion, toute envie de réussir à tout prix pour faire le rapport précis entre les difficultés (éventuellement les dangers) évaluées au plus juste des passages qui restent à gravir et les forces (muscle et tête) de la cordée, afin de décider si l’on peut, si l’on doit continuer ou faire demi-tour. Extraordinaire et merveilleux examen dans le secret de
son coeur où la prudence risque parfois de n’être qu’un aspect de la lâcheté, et l’entêtement à poursuivre qu’une stupide et dangereuse déformation de la volonté. »

Monsieur Gaston REBUFFAT

Cela se perd comme mentalité, vous ne trouvez pas…? Pourtant il a absolument raison je trouve.

Posté en tant qu’invité par Ben:

Gaston…perso c’est la personne qui décrit le mieux la manière dont j’essaie de me rapprocher dans mon « approche » de la montagne…
j’espère que cette mentalité ne se perd pas. J’ai que 23 ans et mes amis montagneux de mon âge essaient aussi d’avoir cette approche (pourvu qu’on soit pas les seuls « survivants » :slight_smile: ).

Mais déjà à l’époque de Gaston, lui même disait que ça se perdait…

<« C’est un beau sentiment, surtout à notre époque qui oublie de plus en plus que l’on a des muscles et une tête qui ne demandent qu’a servir […]
A une époque où tout est de plus en plus prévu, programmé, organisé, pouvoir se perdre sera bientôt un délice et un luxe exceptionnels. »>

Apparemment c’est toujours là… n’est ce pas Nico? :wink:

Ben

Posté en tant qu’invité par nico:

"Apparemment c’est toujours là… " : quoi? le fait que cette mentalité se perde ou le fait qu’il y ait des survivants? Les deux de toute façon à mon avis. Cette façon de voir la montagne se perd de plus en plus, de nombreuses anecdotes vécues, lues ou entendues prouvent cela en ce qui me concerne. Mais le pendant, c’est qu’il y a des survivants, nostalgiques d’une grande époque qu’ils n’ont pas ou peu connue (et qui le regrettent), qui tentent de respecter quelques lois morales pour respecter une éthique. Ceux-là sont en général passionnés par l’histoire de l’alpinisme et leurs héros se nomment, entre-autres, Lachenal, Terray, Rébuffat, Diemberger, Buhl, Gaspard, Messner, Allain, Saudan, Boivin, Sigayret… Oui, je n’ai que 21 ans et j’essaie d’avoir une certaine approche de la montagne. Parce que je suis un éternel réfractaire à ce que je connais, peut-être, mais plus sûrement encore par passion et par respect, simplement. La passion est un moteur increvable…

Posté en tant qu’invité par Ben:

Ah je vois qu’on a des références communes, en plus on est tous les deux des jeunots…

<"Apparemment c’est toujours là… " : quoi? le fait que cette mentalité se perde ou le fait qu’il y ait des survivants? Les deux de toute façon à mon avis.>

oui, « les deux » comme tu dis sont toujours là…espérons que les survivants soient eux toujours là après nous…

apparemment on est que 2 là, sur le forum en ce moment…c’est pas glorieux.

Mais, est ce que notre pratique, « éthique » (mot à la mode que Gaston n’utilisait pas il me semble ;:slight_smile: ) ou approche de la montagne à la sauce Rébuffat est la seule valable??

Posté en tant qu’invité par jc:

Je partage un peu votre point de vue: les valeurs des gars que vous citez sont plus qu’honorables. Maintenant on ne peut pas non plus refuser les avancées (je n’ose utiliser le terme progrès) et dans la génération qui les a suivis, il y a aussi des pointures (la liste est très longue), comme encore aujourd’hui.

Et puis il faut faire attention au temps qui passe: on ne retient souvent que les bonnes choses, les bons souvenirs… tant mieux d’un côté, mais à leur époque aussi il y avait des gens qui pensaient bien autrement et des pratiques douteuses!

Je pense à ce que raconte Desmaison dans ses ouvrages: les conflits de mentalité (Charlet par exemple), les idées en vogue, etc.

Et si on remonte beaucoup plus loin, c’était la même chose: cf « l’illustre Whymper » et ses aventures au Cervin. Pareil pour les premiers ascensionnistes de la Meije: il y a eu des drôles de zozos !!

Posté en tant qu’invité par Ben:

C’est vrai, il y a finalement du bon et du mauvais à chaque époque, et parfois des valeurs qui se recoupent entre époque.

Posté en tant qu’invité par nico:

Non, je ne pense pas qu’il n’y ait qu’une seule éthique. Chacun voit la montagne et sa pratique à sa manière. Il y a de la place pour tout le monde. Je vais prendre un exemple : en Himalaya, je ne prendrai jamais quelqu’un en grippe parce qu’il utilise des cordes fixes (il fait ce qu’il veut), à condition qu’il les enlève au retour par contre, et ce même si j’aurais tendance à m’en passer au maximum. L’objectif, autant que possible, c’est de ne laisser que ses traces sur la montagne, et de prendre avant tout du plaisir, toujours du plaisir en s’émerveillant devant dame nature… Et puis ne pas être en phase avec son époque, ce n’est pas une tare, non? Là je pense à Herman Buhl (si quelqu’un est germanophone, sa femme a fait ressortir un livre avec ses mémoires, non traduit en français à ce jour…) et Kurt Diemberger qui ont inventé le style alpin au Broad Peak en 1953, à une époque où grimper une montagne relevait d’une guerre à mener pour la patrie. Rébuffat haissait le vocabulaire militaire qui caractérisait l’alpinisme de l’époque, il avait une autre relation à la montagne. Mais ensuite chacun a ses goûts, ses envies, nous grimperons différemment sur différentes montagnes en prenant, je l’espère, le même plaisir : tout le monde a sa place en ce sens, je crois.

Posté en tant qu’invité par couscous:

Rébuffat avait vrmt l’air sincère et passionné, et de plus en marge de l’esprit de compétition (guerre ?) qui animait bcp de ses collègues…
Ses bouquins (ceux que j’ai lu en tt cas) et ses films (avec la musique classique et tout et tout… !! ) donnent vrmt envie d’aller en montagne.

Cependant, il dit que l’alpiniste ne pourra vrmt s’accomplir dans son art qu’une fois affranchi des dangers. Mais je ne pense pas que les alpinistes tels qu’ils sont iraient encore en montagne si celle-ci était sans danger, si l’alpinisme devenait un sport « routinier » et « aseptisé ». Le danger et l’incertitude participe grandement aux fortes sensations ressenties ainsi qu’à l’ambiance et l’isolement si singuliers que les alpinistes ressentent selon David Roberts (« Annapurna, une affaire de cordée »).