- Vous avez dit Abalakov ?
- …
- Si, si, vous avez dit Abalakov… dites pas le contraire, je vous ai entendu !
Evidemment, ce nom évoque une technique. Mais au fait, d’où sort-il, cet Abalakov ?
Les frères Abalakov, Eugène (Ievgueny) et Vitali, figurent parmi les plus célèbres alpinistes soviétiques. On oublie généralement les deux autres frères, Shenia et Victor, car Eugène et Vitali, grâce à l’aide sans faille du petit père des Peuples (Staline) ont pas mal tiré la couverture de leur côté. Shenia et Victor ont tout de même effectué plusieurs premières non négligeables : en 1935, le pic Granit (5308), le Breithorn (pas celui-là, l’autre) (5249) et le Mintage (5500) dans l’Altaï.
Mais revenons à Eugène et Vitali.
Tout d’abord Eugène, né en 1885 à Ienisseï, qui était sculpteur, se lança dans l’alpinisme en 1931. Il ne perdit pas de temps puisque, doté de capacités physiques hors du commun (c’est-à-dire pas comme vous et moi), dès 1932 il tente la traversée des trois sommets du Dychtau dans le Caucase. En 1933, une expé part pour la conquête du pic Staline (7495) dans le Pamir, point culminant de l’URSS, rebaptisé pic du Communisme en 1961, lors de la déstalinisation opérée par Nikita Kroutchev (en attendant sans doute qu’on le re-rebaptise pic de l’Economie de Marché ou quelque chose comme ça.) Eugène part seul du camp 7 et fait le sommet en un temps record. Débouchant au sommet du sus-dit pic Staline, il se serait écrié, selon la légende, « Ha-ha ! bande de nases… si je vous avais écouté, travailler plus pour gagner plus et tout le toutim, ben je n’aurais jamais pu faire ça et même, ce que j’ai fait, aucune bête ne l’aurait fait ».
Mais cette citation est sujette à caution. C’est la légende.
En 1936, avec son compagnon Lorenz Saladine, qui sera victime de gelures mortelles à la descente, il fait la seconde ascension du Khan Tengri (6995) dans le T’ien Chan.
Suivons la chronologie ; en 1937, il effectue la première traversée des deux sommets de l’Ushba (4695) dans le Caucase et, l’année suivante, la première traversée intégrale Dychtau-Koshtantau toujours dans le Caucase, et en quatorze jours en autonomie totale.
Il préparait une expé au T’ien Chan lorsqu’il mourut en 1948.
Né à Krasnoïarsk (à vos souhaits) en 1906, son frère Vitali fit des études d’ingénieur (je ne sais pas en quelle spécialité, ma doc est muette sur ce sujet). Entre 1933 et 1968 (belle longévité !) il a pris part à seize expéditions.
Donc en 1933, il exécuta (c’était un mot à la mode, à cette époque, chez les soviétiques) la première ascension du sommet E du Biéloukha (4520) dans l’Altaï et gravit le pic Lénine en 1934.
En 1936, avec son frère Eugène, deuxième ascension du Khan Tengri.
En 1946, il réalise l’ascension du deuxième sommet de l’URSS, le pic Pobieda (ou pic Pobiedy, les avis divergent) ou « pic de la Victoire » dans le T’ien Chan, à 7439. Il conduisit scrupuleusement au sommet, après une préparation méticuleuse, ses dix compagnons d’expédition. Cette ascension fut assurément le couronnement de sa carrière.
Ce pic Pobieda ou dy ou de la Victoire, avait été gravit en 1938 alors que son altitude était encore inconnue, les soviétiques ayant alors d’autres chats à fouetter que de se préoccuper de l’altitude d’un sommet inconnu au fin fond de leur pays. Ceci selon certains auteurs.
Selon d’autres, ce pic aurait été découvert en 1937, localisé en 1943 (je pense qu’ils veulent dire « cartographié » mais c’est curieux, car en 1943, les russes avaient aussi d’autres sujets d’inquiétudes, plus immédiats que la topographie d’un coin paumé) et gravit incontestablement en 1956 après plusieurs tentatives présentant un fumet justifié d’épopée, la dernière ayant coûté la vie à onze alpinistes devenus à moitié fous.
Ces deux hypothèses nécessiteraient sans doute une petite polémique alpine comme on aime, mais il était bien difficile, à cette époque, de savoir ce qu’il se passait de l’autre côté du Rideau de Fer.
Enfin, en 1960, Vitali mène à bien la première ascension du pic Octobre (futur pic du Libéralisme Triomphant ?)
Vitali s’éteignit dans son lit, en 1992, ayant connu au cours de sa vie, les Tsars blancs, les Tsars rouges et les Tsars néo-libéraux sans compter les Tsars taux framboises dont il avait transporté un exemplaire au fin fond du glacier Blanc…….
Euh… non… je me mélange un peu, là… je dois confondre…
Sur la personnalité de Vitali, on n’a pas grand-chose, à part un dithyrambe pur jus néo-stalinien accommodé à la sauce réalisme socialiste par un nommé Sémionov qui, n’y connaissant rien à la montagne, s’est cru obligé d’en rajouter. Ce qui donne ceci :
« La montagne ressemblait à un fauve étendu, parée comme un tigre de zébrures d’un kilomètre de large. Le cannibale guettait une nouvelle proie ; les flocons blancs des avalanches, comme l’écume, s’échappaient de sa gueule.
- Rien de surhumain, remarque Abalakov, comme toujours sur un ton tranquille. »
Il se détache l’image limpide et paisible du héros de l’Union Soviétique, irrigué par la pensée du petit père des Peuples, tandis que son adversaire, la montagne, est paré des oripeaux du dragon mangeur d’homme.
Et, au fait, Vitali Abalakov, c’est lui qui a inventé l’abalakov.
Ah bon ? Vous aviez deviné ?
Ben moi qui croyais que c’était un scoupe…