Posté en tant qu’invité par Thierry AVE:
C’était au printemps 2001.
On avait invité Ghislaine, Laurent et Philippe à dîner. On aime bien Gigi, Laurent et Fifi, et puis on est tous au même club d’escalade et on a toujours des projets de montagne ensemble. Au dessert la question évidente arrive sur la table. Je ne sais plus qui lance :
« Bon, on fait quoi cet été ?
Moi : - les Ecrins, j’aimerais bien faire le sommet
- par quelle voie ?
Moi : - je connais pas ce sommet, on pourrait commencer par la voie normale, déjà c’est bien.
- la voie normale ??? c’est PD ! je veux bien, mais on fait quoi l’après midi ??
- RIRES …… »
Nous voici donc partis pour le refuge du Glacier Blanc, un beau jour de juillet 2001. Le plan est de faire Pic de Neige Cordier pour s’acclimater, de dormir au refuge des Ecrins et de faire la Barre des Ecrins le lendemain. Jusque que là tout baigne…
Le lendemain pleine forme, on monte à Neige Cordier en rigolant, photo au sommet, et on redescend. Arrivé au pied du petit goulet on love les cordes pour reprendre les anneaux de buste et filer vers le refuge des Ecrins. Facile, trop facile …. Pas si sûr, un mot suffit parfois …
« Pierre !!! »
Ca vient d’en haut. Laurent qui est en pleine ligne de mire se plaque au rocher. Le problème c’est qu’entre la neige et le rocher il y a cet espèce de trou généralement formé par le réchauffement de la pierre qui fait fondre la neige (certains experts de ce forum vous dirons comment cela s’appelle, moi j’ai oublié). Enfin, ce trou de merde Laurent met le pied dedans et trébuche. On ne saura jamais comment il s’est débrouillé mais le résultat est que sa lame de piolet lui tranche la paume de la main (il venait d’ôter ses gants). Le résultat est plutôt Gore. Y’a pas mort d’homme, mais il est quand même hors service, un gros steak sanglant à la place de la main. Le gars est plutôt du genre costaud, mais la descente ne fut pas une partie de plaisir, et les 7 points de suture pour refermer l’entaille non plus.
Le lendemain Laurent et Fifi nous quittent et nous nous retrouvons seuls avec Gigi , et il n’y a plus de place au refuge des Ecrins ! On décide de remonter quand même au Glacier Blanc. Mais la Barre depuis le Glacier Blanc c’est long, et le cœur n’y est plus. On se contentera donc du Dôme. La Barre se sera pour l’année prochaine.
Barres des Ecrins 1 – Thierry 0
Juillet 2002 , Fifi et Gigi ne sont pas disponibles mais Michel se joint à nous. Ca va être du gâteau. Michel, Laurent et Moi … on a fait un trio gagnant cet hivers en cascade de glace, la voie normale de la Barre on va la manger en trois heures !
La météo est bonne, on cavale jusqu’au refuge des Ecrins … pour y passer 24 heures à attendre que la neige s’arrête… on redescend sous des torrents de neige et de pluie.
Barres des Ecrins 2 – Thierry 0
Juillet 2003. Cette fois-ci c’est la bonne. Equipe réduite : Laurent + moi (les autres zozo ne sont pas disponibles). On est affûté comme des couteaux. On se prépare à foncer vers l’Oisan quand arrive la canicule. La neige fond à vue d’œil. Par acquis de conscience j’envoie un mail à un guide que je connais bien, la réponse est lapidaire.
« La Barre des Ecrins, tu n’y penses pas ? même nous on n’y va plus … »
Cette année rocher ! On fait le « Cambon » dans tous les sens, mais de neige point …
Barres des Ecrins 3 - Thierry 0
Juillet 2004, Michel est de nouveau de la partie. On décide de faire Roche Faurio pour l’acclimatation et la Barre le lendemain.
Ah ! Roche Faurio ! le seul sommet que j’ai fait sans le voir. Brouillard intense dès la sortie du refuge. Carte et boussole obligatoire. Pour une course réputée facile, on s’est arrêté tous les 100 mètres pour faire le point.
« - Laurent ! tu vois quoi ?
- plus rien
- Ben on doit être au sommet, il parait que la vue est fabuleuse
- Génial ! tu vois quoi toi ?
- Les pompes à Michel et le bout de mon piolet
- Super, on rentre
- Perds pas la boussole ! »
Le soir, Laurent (le gardien du refuge des Ecrins, pas le membre de notre cordée héroïque) colle un logo « soleil » sur la carte météo du refuge. Il fera beau demain. J’ai du mal à trouver le sommeil. Enfin la Barre, je m’imagine déjà fouler de mes pieds cette arrête aérienne si convoitée.
Départ dans la brume. « Ca va se lever ! Ouaip … j’espère … » …. doutes …
Arrivés aux pieds de la pente de neige, un craquement monstrueux se faire entendre. Ce sont les séracs du centre de la face qui partent gambader !!! Les 30 ou 40 cordées présentes s’immobilisent et retiennent leur souffle. Merde ! Il ne manquait plus que ceux là !
Après quelques minutes d’hésitations, toutes les cordées présentes reprennent le chemin du sommet. Un second craquement se fait entendre, plus fort, plus sourd. Cette fois c’est plus prêt, on voit distinctement les frontales des cordées de devant courir dans la face pour échapper au bloc de glaces …. le temps se fige.
Puis la neige tombe. Putain de neige ! C’est un peu comme dans une pièce grecque antique, quand tu crois que tout va de travers, alors un événement survient pour te signifier que ça peut être encore pire.
Pour moi ça suffit – Game Over ! Michel et Laurent décident de continuer, moi je retourne au refuge, comme beaucoup d’autres.
Fin de matinée, je vois Michel et Laurent revenir
« - Alors ?
- on a été jusqu’au Dôme ! Mais c’était chaud, gros brouillard en haut.
- t’as vu quoi ?
- Ben, comme à Roche Faurio : les pompes de Michel et la pointe mon piolet !!
- RIRES … »
Barres des Ecrins 4 - Thierry 0
Juin 2005, cette année je pars en avance. On va éviter les grosses chaleurs et profiter du mois de juin où les ponts de neige sont encore bien gras et ventrus. Je pars avec Hugues. Ca fait longtemps qu’on a envie de faire un truc ensemble. Michel et Laurent sont occupés ailleurs.
On fait Neige Cordier pour s’acclimater, ou plutôt, on COURT dans Neige Cordier, car les conditions sont optimales, notre forme au top, et nous sommes presque seuls.
Le soir, dodo au refuge des Ecrins, puis départ de bonne heure pour la Barre. Vive la neige de juin ! C’est du vrai polystyrène. On explose l’horaire du topo, cette année, rien ne nous empêchera d’aller au sommet. Je pars en tête pour la rimaye, piolet traction, hop, hop, yopla ! Relais à la Brèche Lory … Puis tout change. Le vent qui était inexistant dans la face (à l’abris) s’avère terrible sur l’arrête. La corde est horizontale, on tient à peine debout. J’enrage. Si prêt du but ! On est en pleine forme, pourtant il suffit de réfléchir deux seconde pour savoir que l’arrête avec ce vent, cela ne se fera pas…
En équipant le relais je sais tout cela et j’en ai les larmes aux yeux.
Hugues arrive. Il y a des fois ou un seul regard suffit, les mots ne servent alors à rien. A nous deux nous avons cinq enfants.
« T’as déjà fait le Dôme ? Tu vas voir la vue est magnifique »
Barres des Ecrins 5 - Thierry 0
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