1786, ou comment on parlait de la voie du goûter au Mont Blanc

Posté en tant qu’invité par strider:

je suis en train de lire avec un fort attendrissement et un brin de nostalgie le bouquin de Saussure sur la conquête du Mont Blanc, bouquin fort bien écrit, qui, ne l’oublions pas, marque le changement de regard sur la montagne, le futur engouement de l’élite européenne et l’avènement du romantisme.

je cites Saussure:

pour éxécuter ce projet, Pierre Balmat, Marie Coutet et un autre guide allèrent, le 8 juin 1786, coucher dans mon ancienne cabane de Pierre-Ronde, et en partirent à la pointe du jour. Ils montèrent par la même arête que j’avais suivie l’année précédente et parvinrent, quoique avec beaucoup de peine, au sommet de l’aiguille du Goûté, après avoir été tous successivement malades de fatigue et de la rareté de l’air. De là, en continuant pendant une heure sur les neiges dans la même direction, ils vinrent en haut du dôme du Goûté; là, ils trouvèrent François Paccard et trois autres guides auxquels ils avaient donné ce rendez-vous, et qui avaient passé par le montagne de la Côte pour parvenir au même point. Croyant toujours que ce ne serait que par l’aiguille du Goûté que l’on pourrait atteindre la cime du Mont-Blanc, ils s’étaient divisés en deux bandes pour essayer comparativement les deux routes qui conduisaient à la cime du Goûté. Cette comparaison faut entièrement à l’avantage de la route par la montagne de la Côte. François Paccard et ses compagnons étaient arrivés une heure et demie plus tôt, avec beaucoup moins de fatigue et de danger que Pierre Balmat, qui avait passé par Pierre Ronde (secteur tête rousse)
Après s’être réunis, ils traversèrent une grande plaine de neige, et ils gagnèrent une arête qui joint la cime du Mont-Blanc au dôme du Goûté; mais cette arête se trouva si étroite, entre deux précipices, et en même temps si rapide (=raide) qu’il leur fut impossible de la suivre et d’atteindre par là le sommet du Mont-Blanc. Ils examinèrent alors de différents côtés les approches de cette cime, et le résultat de leur recherche fut, qu’au moins par le dôme du Goûté, elle était absolument inaccessible. Ils retournèrent de là à Chamouni, par la montagne de la Côte, bien mécontents de leur expédition, et poursuivis par un orage accompagné de neige et de grêle qui les incommodait beaucoup dans leur retraite.

hé oui les temps ont changé! les pratiques aussi…
ce livre est vraiment intéressant car il montre la connaissance déjà impressionnante que Saussure avait de la montagne, il te décrit très bien le processus d’avancée des glaciers par exemple…il était certes plus scientifique qu’alpiniste, mais il a fait le Mont-Blanc plus par une insatiable curiosité de découvertes et de savoirs, chose qui se suscite plus guère d’intérêt chez pas mal d’alpinistes aujourd’hui, plutôt porté sur le défi et le catalogue perso de courses…j’exagères, me direz-vous?

Posté en tant qu’invité par Paris-Chamonix:

Ahh Strider je te reconnais bien là

;o)

Posté en tant qu’invité par Bertrand:

Non, je crois hélas que tu n’exagères pas tant que ça…ce qui serait intéressant, c’est de savoir si l’arête des Bosses était vraiment bien plus effilée qu’aujourd’hui ou si c’est seulement leur manque d’habitude et d’équipement sur ce style de terrain qui les a fait reculer.

Posté en tant qu’invité par Romain:

il ne faut pas oublier que de Saussure et les guides ne portaient pas de crampons

Posté en tant qu’invité par Julien R:

Je me demande de quelle arête il parle pour la monter au Gouter? Ca devait pas être évident non plus?

Posté en tant qu’invité par strider:

je crois que l’arête des bosses n’a pas vraiment changé mais à l’époque la moindre pente de neige était facilement raide…
pour la montée au gouter c’est la même qu’aujourd’hui (en moins nettoyée!!), Saussure y consacre une bonne page, seulement il parle d’une arête pour ce que nous appelons aujourd’hui « l’éperon d’après le grand couloir »…
il dit par exemple:
après avoir traversé ce couloir (= le grand couloir) nous atteignîmes l’arête de rocher que nous devions gravir, et c’est ici que notre tache commença à devenir pénible. Nous trouvâmes cette arête incomparablement plus rapide (= plus raide) que celle qui nous avait conduits sur la base de l’aiguille ; les rochers qui la composent sont encore plus incohérents : entièrement désunis par les injures de l’air, tantôt ils s’éboulaient sous nos pieds, tantôt ils nous restaient à la main quand nous vouloins nous y cramponner; souvent ne sachant où m’accrocher, j’étais réduit à saisir le bas de la jambe qui me précédait ; la montée était en quelques endroits si rapide que cette jambe se trouvait au niveau de ma tête. Pour surcroit de peine, des neiges tombées deux jours auparavant remplissaient les interstices des rochers, et masquaient des neiges dures, ou des glaces qui se trouvaient ça et là sous nos pas. Souvent le milieu de l’arête devenait absolument inacessible, et nous étions alors obligés de passer le long des dangereux couloirs dont elle était bornée ; d’autres fois les rocs souffraient des interruptions, et il fallait traverser des neiges qui couvrait des pentes extremement rapides. Tous ces obstacles augmentaient graduellement à mesure que nous approchions de la cime de l’aiguille.

Posté en tant qu’invité par nico:

Oui, sacré bonhomme ce H. B. de Saussure! Faut imaginer, avec l’équipement qu’ils avaient, le degré d’engagement qu’ils pouvaient accepter! Pourquoi faisaient-ils cela? Pour découvrir, parce qu’ils étaient curieux… le prestige, je ne crois pas qu’ils y pensaient! Une sacré leçon pour nous tous. Aujourd’hui, l’aventure est-elle encore possible dans nos Alpes ou doit-on aller la chercher dans des massifs lointains d’une autre dimension (ex : Himalaya)…?