Posté en tant qu’invité par EH!:
Souvenirs…
Refuge des Ecrins, quelque part dans les années 80… tentation du confort qui fait renoncer au bivouac au col.
Mauvaise idée… un quinze août, avec la foule des trop bons jours côté météo, des mauvais pour la fréquentation bigarrée liée à l’accès aisé et au dénivelé modeste depuis le Pré de Madame Carle.
Après une nuit dans les senteurs pétaradantes d’un concours juvénile largement commenté en direct par ses auteurs-compétiteurs inspirés par l’aérophagie des cimes, en gloussant, l’élan boosté pour être parmi les premiers dehors, autant par l’envie de quitter cet antre que de respirer un bol d’air pur et frais, se trouve arrêté net à la dernière étape avant la libération… plus de chaussures.
Fouille en règle de tous les casiers et du reste, avec un gardien pas très concerné mais vaguement compatissant, questionnement de la faune en partance vers le haut comme vers le bas, rien n’y fait.
Il fallait s’y résoudre, les trousse-chemises - pardon, -chaussures - et autres pickpockets sévissaient donc jusqu’au coeur des derniers espaces vierges et préservés de notre bel hexagone - dixit les brochures vantant les qualités des Parcs Nationaux -… « où va-t-on ma bonne’dame-mon bon monsieur, je vous l’demande, c’est-y pas malheureux ? » et autres considérations n’aidant pas beaucoup à sauver ce qui pouvait encore l’être, vu le temps qui commençait à défiler, jusqu’à commencer à éclairer les cimes d’un phoebus généreux sur un ciel limpide dans un air immobile.
L’hôtellerie commençant nettement à se vider de son contenu, un scénario se faisait jour, permettant de passer des consignes plus précises aux derniers partants pour le haut… il restait bien une paire qui semblait n’intéresser personne et se morfondait tristement toute seule dans son casier… car sa petite taille indiquait manifestement que sa propriétaire était partie sans elles étant donné que plus guère de représentantes de la gent féminine ne déambulaient nul part dans les parties communes… personne n’était allé jusqu’à sonder les placards ni les crevasses alentours, certes, mais pour les premiers, leurs tailles et leurs usages ne permettaient guère d’envisager une présence humaine même de taille modeste, et quant aux crevasses, un bataillon de chasseurs alpins campait tout autour et je doute qu’une présence suspect la nuit eut pu échapper à la vigilance des sentinelles promptes et dument entraînées à débusquer tout ennemi ou supposé tel tentant de franchir nos lignes (dixit les brochures remises aux conscrits… engagez-vous, qu’ils disaient).
Le dernier pèlerin parti se recueillir sur une des croix des sommets des environs, il fallait bien se rendre à l’évidence… quelqu’un, sans doute une petite dame, déambulait quelque part entre séracs, crevasses et ponts de neige, en se demandant pourquoi l’altitude lui donnait des sensations aquatiques, comme si elle sortait de l’eau en marchant vers la plage avec ses palmes… à moins qu’elle ne crut, toute cette blancheur glaciaire aidant, être au milieu de l’hiver en randonnée raquettes. Allez savoir.
Puisque tout ce beau monde, en tout cas ceux partis vers le haut, se devait de redescendre et que ce chemin vers la civilisation passait de toute façon devant les murs de la bâtisse, autant attendre le reste de la matinée… en regardant les pieds de chacun.
Las, rien à faire, il fallait redescendre en s’en passant, de ces fichus godillots… sauf que… avant de descendre, il fallait monter… au col. Car la voiture attendait à la Bérarde, lieu de départ autant que d’arrivé de ce qui devait être une course vite faite sans difficulté, juste pour la beauté du lieu en profitant d’un beau week-end annoncé ensoleillé en grande partie.
L’hélico, je ne crois pas que l’idée ait jamais germé dans le cerveau d’aucun des protagonistes pas plus que dans celui des témoins de la mésaventure.
C’est donc une paire de baskets défraichies qui fut de la partie - ainsi qu’un assurage sec sur une petite partie déversée en pont de neige fuyant sur le haut du glacier de Bonnepierre - et sauva la mise pour cette fois, dans une météo qui, à force de trainer, avait jugé bon de nous envoyer brouillard et grésil dans la descente du col. Les crampons furent néanmoins de la partie, inaugurant une combinaison aussi peu probable que peu académique en s’accouplant vaille que vaille à une paire de Nike.
De retour en bas, on l’a bien vu, l’hélico, il tournoyait encore et encore dans le secteur du Soreiller… deux femmes venaient de dévisser dans la Madier, l’une entraînant l’autre… il avait mieux à faire qu’à livrer des chaussures, manifestement.
O tempora, o moraes… ceux où on ne confondait pas encore incident et accident…