Encordement court rando/alpi

L’idée d’avoir une réserve de corde c’est de pouvoir s’adapter aux différentes situations rencontrées : mini ressaut à franchir, arrivée inconfortable à un relai ou replat, passage en arête,… Avec 10 anneaux max ça ne gêne pas la préhension de la clé de blocage, donc pas d’inconvénients même si tu ne t’en sers pas.
Pour donner un exemple sur l’arête de l’aiguille du midi :

  • première partie à plat sur le fil : client devant, piolet à l’épaule (quand tu es sur le fil de l’arête il ne sert à rien), réserve de corde côté col du midi(anneaux à la main qui se déroulent librement sans serrer la main), corde tenue sans clé de blocage côté « vide » face nord. Le piolet est inutile, avec la main gauche je contrôle la tension de la corde et je rattrape un déséquilibre, le fait de voir le client permet d’anticiper. Si ça ne fonctionne pas (car on est en traversée donc plus délicat), avec la réserve de corde, je peux sauter de l’autre côté de l’arête pour bloquer la chute…
  • seconde partie de l’arête, ça descend dans la pente au dessus de la face nord : client dessous (évident), piolet en main côté amont planté le plus profond possible en cane, anneaux avec clé de blocage côté aval en maintenant en permanence la tension (voir si c’est deux « gros », en tirant fort pour avoir de la marge🫣). Ici pas de seconde chance, il faut tenir un déséquilibre sinon c’est terminé.
    -troisième partie toujours dans la pente mais au dessus du col du midi (l’arête tourne): selon les conditions de neige et la trace, je reste avec le piolet sans changement, ou je repasse piolet à l’épaule car il est peu utile et je reprends la corde à deux mains pour avoir l’effet « fusible » sur mon bras fort.
  • Dernière partie on reprend une arête plate, cf première partie.

Quand je parle de regarder les pieds du second :

  • en premier lieu ça veut dire de toujours placer le second devant sur des parties horizontales, sauf exception par exemple faire la trace.
  • même lorsque ça monte on essaye au maximum d’avoir les yeux qui traînent sur ce qui se passe derrière, on est sensé être assez à l’aise pour peu s’occuper de ses propres appuis.
    La corde et les yeux permettent d’anticiper le déséquilibre du second et de le rattraper plus facilement. Avec des clients débutants ça arrive très souvent qu’ils se prennent les pieds dans le tapis sans même s’en rendre compte, car la corde a stoppé net le déséquilibre…
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Question existentielle en effet, même si en stage on a tous retenu des chutes volontaires, en réel je n’ai eu qu’à retenir des déséquilibres ( grâce a l’application des bons enseignements rappelés par Rob), mais en pratique je me vois mal dire c’est chacun pour soi si je me sens responsable de la personne , sauf a l’avoir clairement indiqué dans la prépa de la course. On retrouve d’ailleurs le même problème en rocher ( genre sortie de voie herbe/ rocher « facile » ou il y a déjà eu des cartons similaires), ça pose aussi la question des liens qui unissent la cordée (ou pas)

La question n’est pas simple parce qu’on y adosse des valeurs morales et un gros bagage culturel (cf. différences de pratique entre ski de rando et Alpi sur des terrains identiques) qui viennent brouiller la réflexion.
Mais d’un point de vue pragmatique, utiliser la corde si elle augmente la probabilité (parce qu’un élément de plus à gérer en grimpant et une source de déséquilibre mutuel) et la gravité (2/3 victimes au lieu d’une) est une erreur, et une mauvaise pratique.
Et c’est vraiment quelque chose qui devrait être souligné lors des formations, et en particulier auprès des encadrants bénévoles.
Le piège de ces situations, c’est qu’il faut accepter que des courses d’initiation (par rapport à leur niveau technique) ne sont parfois pas accessible à des cordées sans un leader très expérimenté à cause de leur exposition… Et de manière pas toujours évidente, des courses plus techniques où on peut s’assurer sont mieux adaptées !
La bonne solution si l’encordement augmente le risque et qu’on refuse de l’enlever, c’est de changer d’itinéraire :wink:

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Lors de ma première formation avec le CAFGI en alpinisme, j’ai justement demandé au guide qui encadrait quelle était l’utilité d’un encordement court dans une cordée homogène, alors que ça risquait surtout de multiplier les conséquences d’un accident. Il disait que mon raisonnement était pas faux, mais que ce « n’était pas l’approche du CAF » qui met beaucoup d’importance sur le concept de la cordée. En plus, c’était un guide jeune…

Ensuite il a dit que ça pourrait aussi servir pour stocker la corde lors des transitions/passages très faciles (quasiment le seul endroit où j’utilise l’encordement court pour gagner du temps).

Merci beaucoup Rob
je comprends que tu regardes les pieds pour gérer au plus vite un « trébuchement »

de ma modeste experience, je regarde autre chose sur la « pose des pieds »
la montagne change, les cailloux deviennent instables et parallelement il y a de plus en plus de pratiquants
il est donc de plus en plus important et délicat de ne pas faire tomber de cailloux.
ce que je regarde est donc la manière qu’a le participant de poser son pied (et éventuellement ses mains) et donc de répartir son poids, pour ne pas que le cailloux parte. 3 joker grillés en une journée à cause de cela, maintenant j’y fais gaffe

mes autres moyens de lutter contre ce phénomène:

  • je vais sur des itinéraires plus sauvages (et souvent plus techniques / beaux)
  • je vais en semaine pour éviter la foule

Pour corde ou pas corde, je viens de l’école « couloirs de neige et glace » au sancy, donc on nous apprends vite que vu l’angle de la pente, une chute du leader pourrait faire exploser le relais. Donc soit on protege vraiment (rapprochement des points de progression), ce qui fait perdre un temps fou, soit on change de projet pour du raisonnable, en attendant une prise de niveau technique et physique qui permettra de réduire le risque. (il reste l’option C: on y va en solo, mais je ne vais pas recommander cela ici). Rob, grande prudence de ma part sur ce dernier paragraphe que j’écris, n’hesite pas à me contredire

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amusant! j’étais encadrant au caf GI, et ma boite mail me dit que je te connais! si cela se trouve je t’ai encadré! en tout cas, cela fait plaisir que tu continues, et que tu poses ce genre de question! si ton guide s’appelait antoine, tu peux tout oublier!

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Salut Rob,
Tu peux expliquer un peu plus ces différences de pratique et cette question de bagage culturel et valeurs morales ?

@nethou en alpinisme on attribue une grande valeur morale au concept de cordée (et donc à la corde) : solidarité, prise de risque partagée, entraide, etc… Beaucoup de bonnes valeurs, positives, et par conséquent qui rendent difficile de sortir du cadre. Au niveau culture idem, on est tous imprégné des récits héroïques de compagnons de cordée ayant été jusqu’au bout de leurs forces pour s’en sortir ensemble (tragédie du Fréney par ex.), ou dont le destin tragique est lié par la corde (accident de la cordée whymper au Cervin).
Donc un contexte où il semble évident de toujours rester encordé, et complexe de sortir du « cadre ».

Pourtant l’alpinisme et la cordée peuvent se voir autrement en faisant appel à plus de pragmatisme et d’expertise dans la gestion du risque. Par exemple on peut voir le fait de se décorder, lorsque ça réduit le risque, aussi comme un geste altruiste/solidaire : ne pas entraîner l’autre inutilement avec soi, ne pas multiplier les drames, … Dans un contexte de couple avec enfants, qui pourrait voir négativement le fait d’enlever la corde si elle augmente le risque et qu’elle entraîne en cas de chute la mort des deux parents ? :wink:
Et autre valeur à mettre en avant : la prudence, l’humilité. Donc la capacité à renoncer à une course pour laquelle on ne sait pas évoluer en sécurité avec son niveau.

En ski de rando l’imaginaire est différent, beaucoup sont là dans une optique de ski et pas d’alpinisme. On vient pour descendre une belle pente, pas pour monter le couloir en crampons. Et comme à la descente on sera en « solo » face au risque de chute, ça ne choque pas d’évoluer en montée sans s’assurer…

@seb14521452 pour ce qui est de la gestion du rocher branlant, c’est un autre soucis :wink: Là on était sur les courses de neige. Mais oui, évidemment, la gestion de la corde courte peut aussi servir à limiter les chutes de pierres en cadrant mieux le second !

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Quel survivant (l’autre parent comme les enfants) pourrait ne pas (s’)en vouloir d’avoir été décordé alors que encordé.e il.elle aurait peut-être pu sauver l’autre ?

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Si tu as pris la décision de ne pas t’encorder, c’est à priori :

  1. Que personne n’a le niveau suffisant pour que la corde courte apporte une réelle sécurité et non un risque. Et donc la bonne solution serait plutôt de renoncer à la course, surtout dans le contexte d’un couple avec enfant !!
  2. que les deux ont un niveau suffisant et homogène. Dans ce cas tu joues au loto en cas de chute dans la cordée : si c’est le second qui glisse et que le leader tient son rôle, bingo. Si c’est le leader qui glisse, il tue le second avec lui. Dans le contexte d’un couple avec enfants, ça veut dire des orphelins à pile ou face en cas de glissade d’un membre de la cordée :wink:

Donc oui, pour en avoir déjà discuté avec ma femme, si elle avait plus d’aisance en neige raide on évoluerait décordés :wink: Du fait de mon métier, et que la neige raide en crampons c’est pas sa tasse de thé, on s’encorde…
Avec des copains guides, sur l’arête de l’Aiguille, j’aime autant qu’on soit décordés, aucun intérêt à s’attacher à deux quand aucun n’a plus de raisons de tomber que l’autre !

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Je suis d’accord avec tout ce que tu dis, même si ça ne me paraît pas évident de proposer à son compagnon de cordée partir à 2 en solo. Mais dans ce cas autant faire autre chose, d’autant qu’en ce qui me concerne je cherche le plaisir en montagne et j’ai passé l’âge de prendre des risques pour faire des « performances ».

Mais dans cette discussion on parlait initialement de la voie normale du Mont Blanc. J’y suis allée il y a plus de 10 ans donc mes souvenirs sont flous, mais il ne m’a pas semblé risquer la vie de la cordée à pile ou face en étant encordée (sauf dans le couloir du Goûter mais c’est un autre problème). C’est moi qui me souviens mal ou ça a beaucoup changé?

Il y a de tout :
-> L’éperon du couloir de l’Aiguille du gouter est assez peu expo si on sait utiliser le rocher et les cables pour s’assurer.
-> Du refuge du goûter à Vallot c’est du terrain facile avec encordement glacier
-> Sur l’arête des bosses et la traversée du couloir, il y a de nombreux passages où un dévissage de la cordée (en face N ou en face O) serait dramatique : pentes de neige et glace raides et longues.

Le soucis c’est que techniquement le terrain est facile, donc on se sent en sécurité. Mais ça n’empêche qu’en cas de glissade c’est expo… Donc voir des cordées avec 5-10m entre les personnes, ou « en laisse » mais un leader pas du tout aguerrit , c’est fréquent et ça fait pas rêver…

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Si la corde n’apporte aucun gain de securité dans une certaine situation voire si elle risque de rendre la progression plus dangereurse, pourquoi hésiter de proposer de la plier ? Une simple question d’habitude ?

C’est toi :slight_smile:
J’ai connu une personne qui s’est tuée sur l’arête des bosses il y a plus de 30 ans, par dévissage. En fait c’est une autre cordée qui a glissé, puis a entrainé sa cordée. Au moins 4 morts en tout.
Ca ne veut pas dire solo obligatoire sur cette portion, mais si on s’encorde, le leader n’a pas le droit à l’erreur (et le second doit être rigoureux pour maintenir la tension de la corde).

Je pense que c’est aussi une question de gestion du stress.
Objectivement c’est indiscutable que dans cette situation il vaut mieux ne pas s’encorder, au pire ça ne fait qu’un mort au lieu de 2.
Dans ma pratique, si c’est expo, je ne vais que dans des courses où mon partenaire et moi avons le niveau requis, donc le risque de chute est très faible. Et je suis plus zen si nous sommes encordés, je ne pense pas que j’irai en solo, par crainte d’un coup de stress au mauvais moment. Ca n’a rien de rationnel, c’est purement psychologique.

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de la même façon qu’un 2nd peu sûr sera rassuré par la corde, même si c’est à tort non ?

Oui certainement.
Et même quand il n’y a pas de risque. Parfois il suffit d’encorder un débutant peu sûr pour qu’il soit beaucoup plus à l’aise et qu’il avance 2 fois plus vite.

Ben moi aussi. Mais ça fait encore plus longtemps. J’avais rien trouvé de très expo y compris vers les Bosses. Peut-être que c’est différent maintenant. On n’avait pas du tout de glace. C’est sûr que si c’est en glace ça change tout.
Par contre l’altitude oui clairement c’est à prendre en compte. J’étais au bout de ma vie là haut et valait mieux que je sois avec un guide que leader d’autres débutants…

Merci pour cette discussion fort intéressante et particulièrement à toi @Rob.Bonnet.guide pour ces précisions très très précieuses qui font échos à des situations que j’ai vécues il y a peu de temps que des discussions sur la corde courte.
Un peu étonnée le WE dernier de voir recommander à nos jeunes de passer un passage expo en rocher en corde courte sur un terrain en mauvaises conditions (un peu de neige, rocher mouillé) mais pas facile de contrer l’avis d’un guide et de dire que ça serait mieux en déroulant un peu de corde et de choper des points (qui existaient en plus !)
Je ne suis pas fan de la corde courte et suis totalement d’accord que souvent autant être desencordé si les deux membres ne sont pas tous les deux des « rocs » - et surtout que si ce terrain n’est pas celui où tu évolues le plus facilement c’est que la course est mal choisie !
Merci pour ces partages que je ne manquerais pas d’évoquer bientôt (je pars pour ma dernière phase de l’initiateur alpi pour la certification et c’est terrible comme tous les pros ou instructeurs qu’on croise dans nos cycles de formation ont des avis différents à ce sujet, parfois juste un peu de rationalité permet de prendre les bonnes décisions !! Merci encore pour cet échange que je viens de lire

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Je ne cherche pas polémiquer
Mais j’ai passé le guide ds les années 80 formateur la majorité de mon activité pro et clairement rien ou presque na changé ds ce que j’ai appris au cours de ma formation ou ce que j’ai enseigné par rapport à ce que rob vous explique
Je précise que ds mon entourage pro je n’ai jamais constaté de divergences ou de polémiques sur ces sujets

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