Posté en tant qu’invité par AlbanK:
On nous avait bien prévenu, mais tout de même, on y croyait pas vraiment… On aurait dû…
On était bien, là, tous les trois , un peu sous le sommet.
Ca nous intêressait bien , ce truc-là, les deux faces quoi, d’ un côté les Hautes-Alpes avec la Séveraise tout en bas et puis l’ autre, alors là… rien que du beau : la vallée de La Bonne avec la terrible face nord de l’ Olan, en point d’ orgue.
On s’ intêressait drôlement, quoi…
Le Jean-Pi, je l’ avais bien trainé , depuis le temps, le D’Gé, c’ était autre chose, celui-là, ça faisait un moment, malgrè notre jeune âge…
Il nous manqué le Papy-Socrate qui, du fond de sa piaule, mettait au point d’ étonnantes autant que terrifiantes " infernales machines ", faites de bouts d’ allumettes, colle liquide, caoutcouc et autre poudre noire…
A cette époque, on en a fait sauter des préfectures, gendarmeries, tout y serait passé, banques, usines et même sacristies, en rêve…
Enfin, on en était pas encore là, l’ anarchie, ça n’ a jamais nourri son homme, on alors, pas très longtemps…
Nous, on était là, les " bons amis ", sous le sommet du Turbat. Tout à l’ heure, on quittera ce " joli poutit coin ", on empruntera le vertigineux Col Turbat, en somme, on redescendra par là où on n’ était pas monté…
Tout à l’ heure, au Désert, il y aura ma gentille maman qui viendra nous chercher.
On aura passé deux belles journées entre Hautes-Alpes et Isère, dans ce coin des Ecrins où le vertige vous prend sitôt que vous levez la tête.
C’ était plié, n’ en parlons plus.
Ca aurait dû être plié, sans la Divine intervention des éléments.
Quand je repense à la fiction des éléments, je suis toujours saisi par de livides pensées.
Ca a commencé là-bas, au fond, vers le Taillefer, l’ Armet ou la molle courbe du Gargat.
C’ est monté sans rire, et bien sûrement.
Nous, on cherchait, dans les vagues gradins, le cheminement qui nous déposerait au col, sous le regard austère de l’ Olan.
Maximin et Arias jugeaient de nos capacités à frousser sans foirer.
A certain moment, j’ ai bien senti mon Eider se gonfler, un petit grain amusé vint nous gratouiller le visage… première alerte.
Le soleil, soudain, sembla nous bouder.
" Dis, Finô, ( Finottu, c’ était mon surnom, alors ) t’ as vu, c’ est pas beau, on se magne ", le D’Gé, il avait dit.
Le Jean-Pi, il s’ en foutait bien, il était ravi comme un enfant, ça n’ a pas duré.
Les gradins, les vagues gradins, ils sont devenus bien pénibles soudain, on s’ égarait, on s’ enchantait…
Tout à coup, Nuit !
Nous avions basculé côté Isère, un peu au dessus du col, avec nos sacs, cordes, baudars et des Cling-Cling sonores.
En face, on voyait bien le refuge, et puis des types qui descendaient vivement des Pissoux.
Enfin, ça commença à bourrer durement avec du zeph, d’ en haut, d’ en bas, d’ en face. On commençait à jaunir.
Un coup de trompe formidable, un coup de barre à mine dans les rochers, ça déchira tout, tout de suite.
Un seau, deux seaux et pas de la bière, bien violents et bien humides, à coups de bâtons sur les sacs, vite, aux abris !
Un bon de rocher, Alléluia ! sauvés, pas pour longtemps.
On sort les " ponchos ", un bleu, un autre bleu et le fameux jaune du D’Gé, qui lui a valu tant de tristes commentaires.
On se coule, on se cale, on se cache, on se caille, ça fout les jetons, tout de suite.
On a les yeux qui s’ écarquillent, les cheveux qui puent, les casques qui tremblent, les mains qui suent, dans tous ces hectolitres de flotte, on en garde la gorge bien sèche.
Un coup de canon terrifiant vient nous péter les thympans, une poignée de pluie sèche nous crache au visage, on s’ en relève à peine, on s’ exorbite, ça tourne comme des boules de billards, on en reste ahuris, écervelés en somme, on a du phosphore plein la bouche et du soufre plein les narines, ça claque de partout, c’ est la guerre, c’ est la mort, y’ a la terre qui se soulève, qui s’ ouvre, qui nous soulève, on voltige, immobiles, sous les ponchos bleu-bleu-jaune, comme autant de drapeaux.
Ca rade ça raille, ça raye, ça brouille et ça braille, d’ un coup, j’ ai une idée de génie au milieu des nuées : je lève les yeux et là… horreur :
l’ Olan, rouge sur un fond noir d’ encre, hérissé de lunules électriques, bleues, violettes, mauves, ouvre une gueule écarlate, s’ avance pour nous avaler !
On va y passer, c’ est sûr, Maman, j’ veux pas mourir, ça pète et repète sans cesse, on se fait écraser, ruiner, écrabouiller, agonir !
C’ est le Déluge, c’ est l’ Apocalypse, Ô Mort, apaise-nous, arrache-nous de cet Enfer !
Le Jean-Pi, il est livide, liquide, le D’Gé, il cherche un clope dans la tourmente, allez comprendre…
Finalement, ça barde encore deux ou trois fois et ça s’ en va, " fourgonner dans les lointains, à grands coups de barres de fer ".
L ’ Enfer, c’ était pas pour aujourd’ hui.
On est redescendu docilement…
Là-bas, au refuge, on nous faisait des grands signes, de beaux gestes. On les a bien ignorés, nous, tout foireux qu’ on était…
Devant la cascade de la Pisse, on l’ a regardait d’ un oeil torve, la flotte, ça avait tout raviné, merci pour les chevilles.
Arrivés au Désert, c’ est la " maman " du D’Gé, gironde et joyeuse, qui finalement nous attendait, avec une " thermos " de jus, délectable…
" Hou là là ! ça a bardé « , qu’ elle a dit, la maman, » t’ as vu c’te railla ! ha, vous êtes beaux " qu’ elle a rajouté.
J’ ai rien osé répondre, la honte, la frousse et la pudeur, c’ est bien souvent pareil.
Tout ça, ça n’ a pas entaché notre bel enthousiasme, l’ orage, moi, je l’ aime toujours autant, surtout à travers les carreaux…
PS : ce texte n’ est pas garanti sans contrepétries.